Carlos

Olivier Assayas surprend et enthousiasme avec cette œuvre monstre retraçant l'itinéraire du célèbre terroriste international, de sa «naissance» à sa chute, avec un indiscutable sens de l'action et de l'épique. Christophe Chabert


Tout d'abord, précisons que ce Carlos-là est la version cinéma d'une trilogie télévisuelle de 5h30. S'il est conseillé de se procurer le DVD proposant l'intégrale, on ne peut que pousser à aller voir ce digest sur grand écran, ne serait-ce que pour apprécier le beau cinémascope utilisé par Assayas, définitivement inadapté à l'expérience télé. Au-delà de ces considérations finalement négligeables (et ayant déjà empoisonné sa sélection cannoise), Carlos témoigne de ce qui arrive quand un cinéaste mineur (et on reste poli), au formalisme embarrassant de vanité, croise soudain un sujet en or qui non seulement transcende son cinéma, mais éclaire d'une légitimité nouvelle son style. Cette reconstitution épique et fiévreuse du parcours d'Ilich Ramirez Sanchez dit Carlos, révolutionnaire beau gosse devenu terroriste international puis spectre avachi de sa propre légende, est un vrai film d'action. Non seulement parce qu'il réserve quelques inoubliables morceaux de bravoure (le carnage de la rue Toullier, la prise d'otages de l'OPEP), mais aussi parce que les personnages sont saisis dans un mouvement perpétuel, ce que la caméra agitée d'Assayas retranscrit à la perfection.

Un Tony Montana du terrorisme

La fiction pourrait être asphyxiée par ce souci factuel et cette absence de recul ; mais, au contraire, c'est une fine réflexion sur le déclin de l'idéal révolutionnaire que le récit dessine. Le film le saisit d'abord en jeune chien fou prêt à tout pour intégrer la cause pro-palestinienne. Homme de l'ombre, intrépide et réfléchi, Carlos apparaît à l'écran comme une icône vivant dans un narcissisme extrême, une contemplation satisfaite de lui-même, de ses idées, de son charme — en témoigne ce moment où il se lève nu et va se regarder fièrement dans un miroir. Alors que son ascension paraît sans limite, son péché sera d'accepter de l'argent plutôt que de se sacrifier pour la cause ; ce pacte capitaliste le condamne à l'errance, star encombrante d'une révolution dont plus personne ne veut. En transparence, c'est le triomphe de l'Ouest sur l'Est, de la social-démocratie sur le communisme, qui apparaît derrière le Carlos d'Assayas (et de son acteur, l'impressionnant Edgar Ramirez). La fascination qu'il exerce sur le spectateur n'exonère pas le film d'une issue morale, comme si l'ivresse procurée par cette œuvre démente devait durer jusqu'à la gueule de bois.

Carlos
D'Olivier Assayas (Fr, 2h45) avec Edgar Ramirez, Alexander Scheer…


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