Yoann Bourgeois : « Atteindre un point de suspension »

Yoann Bourgeois présente cette semaine à Eybens une forme créée spécialement pour le lieu impressionnant que sont les Caves de la Frise. L'occasion d'en savoir un peu plus sur celui qui a décidé d'installer sa compagnie à Grenoble.


Début juillet, lors du festival Imaginez Maintenant. On découvrait Yoann Bourgeois, niché sur le belvédère Vauban de la Bastille, avec son spectacle Cavale : une chorégraphie aérienne vertigineuse, qui bluffa l'assistance. Les envolées de Yoann et de son complice Lucien, à coups de trampoline placé face au vide (image sublime), avaient de quoi impressionner.

Ce fut l'acte qui officialisa l'arrivée de ce circassien – qui se définit plutôt comme « joueur » – en terres grenobloises : notre homme a ainsi installé sa compagnie éponyme dans notre cité alpine, où il créera ses propres spectacles, en mettant de côté l'interprétariat (il a notamment collaboré pendant quatre ans avec Maguy Marin). Bienvenu !

Plus mécanique que psychologique

On l'a rencontré la semaine dernière aux Caves de la Frise d'Eybens, où il a posé ses valises avec sa compagnie pour une création in situ baptisée Cavatines : « On a plongé une semaine pour investir un lieu, sans idées préconçues. Ça nous fait casser notre rythme de création ; c'est assez vivifiant, mais exceptionnel : ce qu'on va présenter là, on ne le rejouera pas ailleurs. D'où l'idée d'une rencontre extraordinaire. »

Cavatines sera ainsi une étape au sein de son parcours. « Dans le cirque, je suis intéressé par le fait de rendre perceptible les forces physiques, en particulier cette première qu'est la gravité. Et dans ce jeu avec les forces, je cherche à atteindre un point de suspension. Donc ma recherche est tournée sur le plan mécanique plutôt que sur un versant psychologique. Mais si je choisis ça, ce n'est pas pour faire un travail abstrait de physicien, mais parce que je sens que c'est riche en potentiel dramatique, avec un acteur vecteur de force qui laisserait voir à travers lui des possibilités de drame ».

En suivant cette optique, cette année lui servira à développer son Cavale, qui sera dévoilé dans une forme plus élaborée à l'automne 2011, à la MC2 (la version visible en mai prochain à l'Odyssée d'Eybens sera pratiquement la même que celle de la Bastille).

« Pas déconnecté du monde »

D'emblée, à la découverte de l'univers de ce jeune homme (qui semble ?) timide, on a été séduits. Mais on n'a pu s'empêcher de ressentir une légère frustration. On lui demande alors son avis sur cet engouement récent pour le cirque contemporain, et la tendance de ce même cirque à, quelquefois, rechercher le "beau pour le beau".

« Plus que la question du "beau pour le beau", le problème serait davantage une sorte de confusion sans doute liée aux origines du cirque qui s'est construit par métissages : c'est cette confusion qui me pousse à donner de l'importance au processus, au temps de travail et à une forme de cohérence là-dedans, plutôt qu'à des procédés d'images qu'on attendrait de voir. La seule chose qui peut déjouer la pauvreté, ce n'est pas d'avoir une bonne idée mais d'approfondir un travail. Il est probable que les spectacles que je fais n'aient rien à voir avec ceux de Maguy Marin, mais je crois qu'on partage quelque chose d'essentielle : cet engagement pour essayer de mûrir quelque chose. »

On continue dans notre lancée, en lui demandant comment il voit sa place d'artiste dans le monde. Construit-t-il une position poétique en retrait (ce que pourrait laisser penser son Cavale) ou, à l'inverse, souhaite-t-il aller au combat, avec véhémence ? « Je ne me vis pas comme déconnecté du monde qui m'entoure, je me sens au contraire très en prise avec ce monde. Après, c'est davantage pour moi le problème du propos : est ce qu'il faut en avoir un politique ou clairement affiché comme actuel pour être un artiste engagé dans son temps. Je crois que c'est plus profond… » Sur les prochaines années, on scrutera donc avec intérêt le parcours de cet artiste passionnant et intrigant qui ne demande qu'à nous embarquer.

CAVATINES
Samedi 25 septembre à 19h et 21h, aux caves de la Frise (Eybens).


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