Miam Miam


Critique / Après La folle et véritable vie de Luigi Prizzoti et Looking for Mr Castang, Edouard Baer retrouve donc son double théâtral, ce comédien au parcours très approximatif, ce monsieur Loyal malgré lui de ménageries humaines complètement azimutées. Le début de Miam Miam n'étonnera que peu les habitués de son univers : en binôme avec le grandiose Philippe Duquesne, Monsieur Baer nous la joue théâtre de boulevard, avec un dialogue entre deux bourgeois ronflants se disputant leurs conquêtes tout en tripatouillant la voluptueuse servante. Mais très rapidement, les vieux démons narratifs de l'auteur prennent le dessus, et l'action s'interrompt – l'unique spectateur de cette pièce dans la pièce s'est endormi, ce n'est donc pas la peine de poursuivre, d'autant que le théâtre a été réservé pour le reste de la soirée par une sorte de simili mafieux, qui doit revenir plus tard avec ses camarades a priori aussi peu commodes que lui. Luigi n'a donc que peu de temps pour transformer la scène en restaurant, improviser un recrutement de personnel, et autres facéties digressives dont seul Edouard Baer a le secret.

Un rien moins foutraque que ses deux spectacles précédents, Miam Miam atténue le côté music-hall, l'enchaînement apparemment sans queue ni tête de saynètes mais recèle toujours autant de fulgurances poétiques, d'impros barjos, de grands moments de portnawak entre comédiens géniaux. Spécialiste du dérapage contrôlé, Edouard Baer élabore de pièce en pièce une œuvre théâtrale déconstruisant la fiction pour mieux l'interroger, sans oublier pour autant le plaisir d'expérimentation comique qui lui assure sa renommée. Son personnage s'épaissit dans chaque création au fil de ses échecs, de ses renoncements, de ses irrésistibles bassesses. Le spectacle pourra sans doute sembler trop long, mais la durée à rallonge de certaines scènes comme une absence de logique narrative apparente font justement tout le sel du travail théâtral d'Edouard Baer. Du spectacle fier et conscient d'être vivant, en somme. FC


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