Les amants éternels du cinéma français


Acteurs / Le cinéma de François Ozon affiche ouvertement son fétichisme cinéphile ; chez lui, la citation doit être littérale, incarnée, et les acteurs doivent arriver sur l'écran avec le passé de leurs rôles précédents (Jérémie Rénier dans Les Amants criminels, Jeanne Moreau dans Le Temps qui reste, etc.). Dans Potiche, il reforme le couple mythique Catherine Deneuve / Gérard Depardieu, sept films ensemble en trente ans.

Deneuve le fait justement remarquer, elle n'a jamais été que l'amante de Depardieu, jamais sa femme à l'écran ; c'est donc un couple illégitime marqué par un décalage initial qui empêche l'accomplissement de la romance. Dans Le Dernier métro (1980), Truffaut fait de Deneuve une comédienne populaire qui devient par la force des choses le lien entre son mari juif caché dans la cave du théâtre pendant l'occupation et le monde extérieur. Depardieu, lui, est un jeune acteur qui doit être son partenaire à la scène et devient son amant en coulisses. Deneuve est alors une star ; Depardieu est en passe de l'être et le film se nourrit de ce décalage de notoriété en le reproduisant à l'écran.

Corneau dans Le Choix des armes (1982) applique ce décalage à la mécanique du polar : Deneuve y est la femme calme et posée d'Yves Montand, gangster rangé des voitures, et leur quotidien est perturbé par l'irruption du chien fou Depardieu après un coup qui a mal tourné.

François Dupeyron avec son beau Drôle d'endroit pour une rencontre (1988) concentre la romance sur une aire d'autoroute, et fait des deux comédiens des êtres en transit, littéralement et existentiellement. Ce stand-by commun va les rapprocher, mais condamne aussi l'histoire à n'être qu'une parenthèse.

Le temps passera entre les deux acteurs, et c'est bien leurs retrouvailles que filme André Téchiné dans Les Temps qui changent. Ils se sont aimés avant (dans une autre vie, dans d'autres films), ils essayent de s'aimer à nouveau aujourd'hui. Ozon fait la même chose, en plus ironique, dans Potiche : les anciens amants doivent à nouveau faire romance commune. Mais le cinéaste creuse, comme Truffaut et Corneau avant lui, le fossé social entre les deux : elle bourgeoise capitaliste, lui député communiste et ancien ouvrier, qui oublie leur différence le temps d'une danse sur fond de disco dans une boîte de nuit kitsch. Improbable mais crédible tant la complicité entre Deneuve et Depardieu est évidente à l'écran. CC


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«Fidèle à la réalité»