L'eau, le vent et la plume

Le philosophe Michel Serres, épistémologue amoureux des sciences et des arts, vient nous honorer de sa présence pour évoquer son dernier ouvrage : Biogée, virage lyrique s'éloignant de la rigueur philosophique. Une rencontre de bon ton. LG


Membre émérite de l'Académie française (rappelons qu'ils ne sont que quarante à occuper ces fameux sièges simultanément), Michel Serres est un philosophe français contemporain à la fois pointu et accessible. Spécialiste de la philosophie des sciences, il théorise aussi bien les méthodes d'accès à la connaissance que leurs rapports directs avec les sciences sociales. Au détour d'une page de sa toute dernière parution, il décrit l'essence de son travail dans une jolie métaphore : « Devenu philosophe aujourd'hui, je pense comme la mer mourante ou un fleuve en agonie, comme la mer divine ou le fleuve paradis, ventres doux de renaissance. » Ce livre est l'occasion pour lui (et surtout pour nous), d'une conférence-débat, organisée par la librairie Le Square qui ne déroge ainsi pas à sa propre règle : faire vivre les écrits en multipliant les rencontres avec leurs auteurs.La Terre et les espèces vivantes
Biogée, acception concise de l'ensemble précité, est aussi le titre du dernier ouvrage de Michel Serres, qui s'apprécie à la façon d'une méditation lyrique et informée du monde et des éléments entourant le philosophe. Faisant ressurgir ses souvenirs du temps où il officiait dans la Marine, il livre ses sentiments dans des échappées virevoltantes : « Plus que de pain et de vin, nous avions faim et soif d'elle, amoureux, passionnés, mystiques. Nous avions pour horizon la mer. Nous avions pour maîtresse la mer. » Plus loin, une fois l'ancre jetée et les deux pieds sur la terre ferme, il prouve son appartenance réfléchie à la société en multipliant les observations sociologiques, teintées là d'inquiétude, là d'une douce certitude que chaque chose est à sa place, que le monde s'offre comme une matrice, comme le modèle de toute création humaine. Ainsi « les personnes tuent parfois ; le collectif tue toujours. », notre corps « porte en lui ce qui fait, indéfiniment, l'ouverture en relais de l'espèce », et, « le monde, connecté comme nos réseaux, se mondialisa dès sa fondation ; et nous mimons ce processus. » L'étrange mélange de récit à teinte autobiographique avec des éléments clairement fictionnels – puisés pour certains dans l'imagination de l'auteur, pour d'autres dans des écrits fondateurs comme ceux de l'Ancien Testament – avec encore des impressions, fruits d'une réflexion poussée et argumentée scientifiquement dans d'autres écrits, aboutit à un résultat tout à fait intrigant. Promenade avertie et littéraire, regard de sage sur un monde dont tout le monde parle mais que peu observent dans sa chair, ce Biogée a des arguments pour séduire le lecteur assidu de philosophie, comme le plus réticent.Conférence-débat de Michel Serres à propos de Biogée
Jeudi 20 janvier à 20h au CRDP.


<< article précédent
Evénement