Héros malgré eux

Avec son cycle documentaire intitulé Tournez Manège, le 102 programme sept films interrogeant avec brio la place de leur figure centrale. FC


Comment s'opère le glissement d'individu à personnage ? Comment respecter la parole donnée sans la travestir ou carrément la trahir ? Quel est le juste équilibre entre objectivité crue et subjectivité esthétisée ? Ces questionnements, qui ont toujours nourri la discipline documentaire, sont au cœur-même des sept films retenus par l'équipe de programmation cinématographique du 102 pour composer le corpus de ce nouvel événement qui n'attend plus qu'un public pour apprécier sa pertinence. Sur les cinq que nous avons pu voir, trois se confrontent directement avec des sujets difficiles, à même de faire détourner le regard : L'Ordre de Jean-Daniel Pollet (prix de la critique du festival du court de Grenoble en 1975 !) nous plonge dans l'une des ultimes léproseries grecques, Eine Ruhige Jacke de Ramon Giger (2010) met en scène un jeune autiste ne pouvant que très difficilement s'exprimer, et l'halluciné The Ballad of Genesis & Lady Jaye (2010, photo) de Marie Losier relate la métamorphose d'un couple en une entité « pandrogyne ». Mais par l'énergie d'un montage au cordeau, un regard le plus honnête possible au gré duquel le sujet s'emparera de la caméra pour renverser la perspective ou un ton volontairement outré, il finit par se dégager de ces œuvres une sensibilité parfois bouleversante, source d'émotions complexes.

Si le monde m'était conté

Dans un registre complètement différent mais tout aussi passionnant, Bassidji de Mehran Tamadon (2009) suit les déambulations et dialogues féconds d'un iranien expatrié, de retour dans son pays natal pour y rencontrer les bassidjis, les garants pour le moins exaltés de la République islamique d'Iran. D'une forme sèche, voire des plus austères une fois l'introduction passée, ce documentaire observe deux conceptions sociétales diamétralement opposées converser librement - mais dans un environnement où la tension est plus palpable. S'il faut un minimum s'intéresser à la situation politique et religieuse de ce pays pour vraiment entrer dans le film, le résultat se révèle bien évidemment fascinant. Enfin, on ne saurait trop conseiller la vision de l'incroyable Techniquement si simple de René Vautier (1971), véritable coup de boule d'un quart d'heure reposant uniquement sur le monologue d'un ancien poseur de mines pendant la guerre d'Algérie. Par rapport aux œuvres précitées, l'absence totale d'un quelconque dispositif fait sens pour montrer à quel point l'individu peut s'extraire de toutes conventions et devenir, malgré lui, un objet d'interprétations le dépassant. Autant vous dire qu'on a plutôt hâte de découvrir les deux films restants (Julien de Gaël Lépingle et An injury to one de Travis Wilkerson).

Tournez manège

Du 24 au 27 mai, au 102


<< article précédent
Au théâtre demain