Peinture de gestes

Avec Tableaux, le Magasin propose une nouvelle exposition collective dite « concept ». Et, qui dit concept dit nécessité de voir (ou entrevoir) plus que le simple résultat qu'est l'œuvre : la promesse d'une problématique aux réponses en panache. Laetitia Giry


Une présentation « concept », c'est la nécessité de placer les œuvres exposées à la fois dans leur contexte de création et celui de mise en cohérence au sein de l'exposition. Sur ce point, on peut reprocher au Magasin l'épure de l'affichage – qui ne propose jamais rien d'autre que les œuvres elles-mêmes –, tout comme l'on peut continuer à encourager les visites menées par les médiateurs, qui offrent exactement ce dont le public a besoin. Faute de quoi, ce dernier sera face à l'hermétisme des œuvres qui défilent, sans en saisir le sens – resté figé dans un apparent silence. Car la notion de « tableaux » s'élabore d'abord dans le geste opéré par l'artiste ; elle se niche, tapie, dans l'intention et dans la démarche. En effet, que nous dit la série de douze toiles de David Hominal si l'on ignore que leurs différentes teintes cuivrées ont été obtenues par l'exposition à la fumée d'un abattoir à poulets, que leurs tâches brunes sont des traces de sang des bêtes précitées, que ce qui est vu est donc l'œuvre de l'accident et du hasard provoqué par un geste : faire pendre des toiles dans un fumoir et attendre qu'office soit fait ?Du chaos à la plénitude
L'entreprise est loin d'être vaine, elle revendique le pouvoir de repenser le cadre du tableau, en le redéfinissant comme une ouverture sur la fiction – un champ de possibles –, en se le réappropriant comme représentation d'une scène propice au développement d'une idée – au même titre qu'au théâtre ou au cinéma. La première salle, envahie par Tomàs Espina, respire l'air vicié de l'illusion perdue. Sombre et brûlée, elle est le cocon sali de la volonté de faire pénétrer le visiteur à l'intérieur du tableau : là où se mêleront l'envie de comprendre et la clé prévue à cet effet. L'artiste affirme vouloir faire ressentir le « dernier souffle », celui libéré par la potentielle victime d'un potentiel accident. Tout se joue dans le conditionnel, le goudron a été carbonisé à dessein, il est un élément du décor : il est fiction, porte ouverte sur le chaos. Plus loin, face aux larges tentures pas spécialement élégantes de Jessica Warboys, se noue une autre intrigue : d'où provient cette sensation de paix ? A nouveau, la réponse est dans la méthode. Ses Sea Paintings Dunwich sont dessinés par le remous de la mer, le sable chatouillant la fibre et les pigments sous l'effet d'un vent doux de l'est de l'Angleterre. Laissé libre et à l'abandon, soumis au bon vouloir des éléments, le tissu se marbre d'un mouvement aléatoire à la rythmique reconnaissable entre toutes : celle de la respiration, après la tempête.Tableaux
Au Magasin – CNAC jusqu'au 4 septembre 2011


<< article précédent
J’aime : je lévite