« Un rapport désacralisé à l'œuvre d'art »

Collectif artistique fondé à Grenoble en 2001, Elshopo fait fi des conventions en cours pour mieux inventer de nouvelles façons de créer. Passionnés de sérigraphie, de pop culture et d'humour potache, Aurélien Darnaud, Jérémie Cortial et Julien Villaret reviennent avec nous sur leurs 10 ans d'existence à l'occasion de leur nouvelle exposition à OUI. Propos recueillis par Damien Grimbert


Le Petit Bulletin:Vos premiers faits d'arme ?
En 2003, on se retrouve invités par hasard dans un gros festival de design au Japon. Les organisateurs se méprennent un peu sur nous et notre taf et s'attendent à ce qu'on leur fasse une expo bien clean et carrée. À la place, on leur présente un show méga décadent, déguisés en hommes des cavernes poilus sérigraphiant des T-shirts sur une machine résinée en forme de rocher patatoïde. On ne sera plus invités à Tokyo, mais le délire des performances sérigraphiques est lancé... L'année suivante, avec Print Food, on décide d'utiliser la nourriture comme support d'impression. On tente une installation complètement nouvelle devant un groupe de professeurs blasés, où l'on sérigraphie des crêpes parfumées au polyester. Ensuite, il y a eu plusieurs délires plus ponctuels, comme Seriall, un voyage de six mois en Europe de l'Est à bord d'un atelier de sérigraphie mobile, ponctué par une série d'ateliers…

Vous avez aussi créé une « machine sérigraphiante » ?
Oui c'est un kit d'impression sérigraphique pour produire ses T-shirts, posters ou fanzines à la maison. Mais depuis deux ans, on est revenus à nos bons vieux délires d'adolescents : la guitare et les jeux vidéos ! Les guitares sérigraphiques permettent de jouer de la musique en imprimant des images dans une explosion de couleurs et de paillettes, au sens propre. Et concernant les jeux vidéos, on a réalisé l'année dernière Arcade Paper, une sculpture interactive qui s'inspire des fameux Game & Watch de Nintendo. L'idée est de jouer à un jeu vidéo qui vient se mélanger à un poster sérigraphié interchangeable. On peut aussi dessiner son propre décor et simplement jouer dedans.

Il y a toujours une dimension ludique dans votre travail…
Ça le rend plus accessible, et ça aide aussi à démystifier certaines pratiques graphiques, artistiques, professionnelles… Ensuite, le fun est important, c'est certain, mais on essaye aussi de traduire - par des actes parfois absurdes - une vision plus subtile du design. Le point de départ, c'est l'idée de la trace que peuvent laisser les objets malgré leur fonction supposée inadaptée.

Quelles sont les thématiques et notions autour desquelles s'articule le travail d'Elshopo ?
On produit depuis le début de nombreux signes graphiques : dessins, sérigraphies, gif animés... La question du support est donc permanente, mais également celle de l'art de faire, c'est-à-dire la manière de produire ces images. Et là, on s'est aperçu que la technique sérigraphique nous permettait toutes sortes de digressions. On ne cherche donc plus à produire une jolie image mais à joliment produire une image. Ensuite, ce qui évolue avec les années, c'est peut-être le rapport qu'on tente d'établir entre tous les objets qui façonnent notre univers.

Et vos sources d'inspiration ?
Elles proviennent très souvent de la culture populaire : la musique, les jeux vidéo, la publicité, mais aussi des sujets plus spécifiques comme l'art rupestre ou la gastronomie japonaise. On se sent aussi très proches des cultures indépendantes, que ce soit le rock indé, le fanzine... C'est des gens qui ne se prennent pas la tête et ont une liberté de création particulière.

Avez-vous l'impression de vous inscrire dans un courant artistique particulier ?
On n'ira pas jusque-là. Mais c'est vrai que le contexte de l'École d'Art de Grenoble il y a 10 ans a pesé. On se sent par exemple très proches de ce qui se passe à OUI, ou bien du travail de Bertrand Planes qui était entré à l'école quelques années avant nous. Tout ce petit monde a un rapport très désacralisé et « low-fi » à l'oeuvre d'art. Le bricolage et les petits gestes y ont une importance capitale.

Ce qui est surprenant dans Elshopo, c'est aussi ce mélange d'esprit Do It Yourself et de « communication d'entreprise ».
Depuis nos débuts, on cherche toujours à s'aventurer dans de nouvelles réalisations sans rien y connaître au départ : fabrication d'objet de design, sculpture interactive, circuit de voitures téléguidées… Mais en tant qu'entité de production globale et autonome, on est obligés de gérer la communication comme une entreprise, c'est une question de survie. Du coup notre créneau, c'est aussi de jouer un peu avec notre image, avec cette communication, et d'aller jusqu'aux limites de ce que ne doit pas faire une entreprise…

Et cette exposition à OUI, pour finir ?
L'idée était de transformer le centre d'art en garage de course automobile. On a donc revisité l'univers d'Elshopo à travers un circuit fait de 100 posters collés bout à bout, sur lesquels viennent rouler des petites voitures téléguidées, sorte de sculptures absurdes laissant leur trace sur le papier. La suite est une version assez bon enfant de l'action painting...

Exposition Peti Turismo, de Elshopo Jusqu'au dimanche 3 juillet à OUI


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