La niaque de Sihanouk

Le théâtre provoque parfois des rencontres miraculeuses. En redonnant vie en langue khmère au spectacle du Théâtre du Soleil sur Norodom Sihanouk, de jeunes cambodgiens se réapproprient avec un talent fou leur histoire sombre. Nadja Pobel


C'est une fabuleuse épopée que celle de ce spectacle au titre à rallonge, L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. En 1985, Ariane Mnouchkine monte dans sa Cartoucherie à Vincennes, un texte de 9h écrit par la fidèle Hélène Cixous sur l'histoire contemporaine cambodgienne toute brûlante (Pol Pot a été destitué depuis seulement six ans). Elle choisit pour trame le destin de Sihanouk qui permet à son pays d'accéder à l'indépendance en 1953 sans que la moindre goutte de sang ne soit versée. L'interprète de ce jeune chef d'Etat qui choisit courageusement alors d'être non-aligné (pas de soumission au bloc occidental ni au bloc communiste) est Georges Bigot. Aujourd'hui il met en scène la deuxième version du spectacle, épaulé par Delphine Cottu (ancienne actrice de la troupe du Soleil dans les années 90 et 2000). Repris pour moitié (de 1955 à 1970, le coup d'Etat de Lon Nol qui met Sihanouk à terre), L'Histoire terrible… est désormais incarnée par des Cambodgiens dans leur langue tintinnabulante.

Jeu c'est eux

Ils sont une trentaine entre 18 et 30 ans à faire défiler la chronologie de leur pays qu'ils découvrent presque car ils n'étaient pas nés durant la période concernée. Grandis dans la misère («les plus chanceux ont eu une vie normale de pauvres» nous confiait récemment et amèrement Georges Bigot), ils se retrouvent comédiens via une école d'arts du spectacle pilotée par une ONG à Battambang, au nord de leur pays. Sur scène, ces néophytes ont tout des grands et occupent magnifiquement l'espace. Ils n'ont pas le choix car tout repose sur eux. La scénographie n'évolue pas, les accessoires sont réduits à leur strict minimum et la mise en scène reste classique (c'est sensiblement la même qu'en 1985). Seul renfort pour les comédiens : leurs quatre acolytes qui jouent délicieusement de la musique en live. Au devant du plateau, Sihanouk et Pol Pot sont interprétés par des femmes non par choix délibéré des metteurs en scène mais parce qu'elles sont d'une incroyable véracité dans les costumes de ces hommes politiques. Généreuse, déterminée, vindicative, la jeune San Marady, 24 ans, grimée en Sihanouk, emporte tout sur son passage. Pour le meilleur.


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Son côté punk