Les Neiges du Kilimandjaro

Film de crise et de lutte sur un cinéaste qui se remet en question pour mieux croire, Les neiges du Kilimandjaro n'est pas un point, mais une virgule dans le cinéma de Robert Guédiguian. Jérôme Dittmar


Que peut encore le cinéma de Guédiguian ? Aussi exténué que la gauche, il a pris un coup de vieux. Mais la lutte n'est pas finie. Elle n'a peut-être jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui dans un pays où la pulsion de droite côtoie le catastrophisme économique. Avec Les Neiges du Kilimandjaro, le cinéaste opte pour la lucidité, sur son militantisme, ses convictions, sa vision du monde. Il prend du recul et observe ce que sont devenus ceux qui ont toujours cru au socialisme. Un film a priori générationnel, pour pré-retraités, syndicalistes installés, découvrant ébahis qu'ils vivent comme des petits bourgeois, leurs ennemis. La cause est-elle compatible avec la propriété ? Comment continuer à se battre et que peut-on accepter pour combattre la précarité ? Quel legs aux nouvelles générations dépolitisées ? Le monde a changé et c'est avant tout le premier constat du film. L'intrigue vaut comme un exposé : braqués par un ex-collègue licencié lors d'un dégraissage au tirage au sort, deux couples d'amis syndicalistes voient leur idéalisme se fissurer devant leur désir de justice. Ils doivent résister à l'esprit de vengeance, aveugle, d'autant plus dur quand l'argent volé fut réuni par des amis pour fêter le départ de l'un des leurs, viré au même moment.

Comprendre plutôt que juger

Tenir, Les neiges du Kilimandjaro n'a pas d'autre programme. Guédiguian tourne un film de croyant. C'est sa limite, avec celle du test de résistance poussant ses personnages dans le jeu pervers de l'injustice. Mais l'expérience, glissante à vouloir trop laver les péchés d'une gauche découvrant que le confort, finalement, c'est pas si mal, n'est pas vaine. Les deux générations en miroir, d'un côté Darroussin, dont les enfants voient d'un mauvais œil que leurs parents aident les proches de leur agresseur, de l'autre le jeune collègue, braqueur amateur pour la survie de sa famille sans parents, servent à poser une équation simple et complexe : comment continuer à comprendre plutôt que juger ? Même le pire, quand celui à qui on pardonne vous crache à la gueule son cynisme et sa vérité. Les Neiges du Kilimandjaro est un film d'amour refusant de capituler devant l'individualisme et la pulsion de droite. Moins une œuvre politique que métaphysique où le bilan, malgré l'amertume et le sentiment d'impuissance, ne doit pas ternir la volonté de croire dans un universalisme serein et généreux.


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