A dangerous method

La rivalité entre Freud et son disciple Carl Gustav Jung, un sujet complexe mais idéal pour David Cronenberg, qu'il rend passionnant pendant 45 minutes, avant de laisser la main à son scénariste, l'académique Christopher Hampton. Christophe Chabert


Au détour d'une séquence de séduction entre Sabina Spielrein (Keira Knightley, qui donne beaucoup d'elle-même à ce personnage de femme hystérique découvrant la nature sexuelle de son mal) et Carl Gustav Jung (Michael Fassbender, loin de l'animalité de Shame, comme cherchant à déchirer le corset moral qui l'enserre), celle-ci lui dit : «Dans chaque homme, il y a une part féminine». L'admirateur de David Cronenberg saisit instantanément ce qui renvoie à l'œuvre du cinéaste canadien : la sexualité comme révélateur de la confusion des genres. A dangerous method raconte le conflit entre Freud, qui pense que tout est explicable par la nature libidinale des êtres, et Jung, qui croit que certains phénomènes proviennent d'un inconscient collectif. Mais il dit aussi qu'il y a une part d'inexplicable dans le désir et que la chair prend toujours le dessus sur le cerveau.

Malaise dans la civilisation

Comment raconter cette rivalité intellectuelle sans s'empêtrer dans des couches de dialogues explicatifs ? Cronenberg trouve de belles parades à cet écueil : par la mise en scène, comme lors de ce passage remarquable où le dispositif d'analyse inventé par Jung se transforme en scénographie où chaque plan de l'action est assemblé selon un savant montage musical. Ou encore lorsqu'il fait entrer la comédie dans sa très scrupuleuse  reconstitution historique : la première rencontre avec Freud ou le traitement d'Otto Gross montre Cronenberg à son meilleur, déminant le sérieux du sujet par une forme de cabotinage bouffon (Mortensen et surtout un Vincent Cassel déchaîné se prêtent à ce petit jeu avec un plaisir manifeste). Il parvient même à faire passer, sans forcer le trait, une atmosphère de complot dans l'usage ingénieux des ellipses du récit. A dangerous method fonctionne jusqu'à ce que ce trio énigmatique ne se lance dans une tragédie amoureuse beaucoup plus attendue. Christopher Hampton recycle alors avec un certain cynisme le scénario qu'il avait écrit pour Les Liaisons dangereuses (même le titre y fait allusion), le conflit psychanalytique étant dissous dans une routine dramatique frôlant l'académisme. Cette deuxième partie n'évite donc pas l'ennui, comme si Cronenberg se contentait d'illustrer avec beaucoup d'effets de signature un matériau qui ne le passionne plus beaucoup. Et passe, de fait, pas très loin d'un grand film.


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