La Nuit fauve


Classique / Fils du grand Maurice Tourneur, cinéaste français ayant offert au muet hollywoodien quelques-unes de ses œuvres phares, Jacques Tourneur lui emboîte le pas durant l'âge d'or des studios. S'associant avec le rusé mais avisé producteur Val Lewton, il lance sa carrière avec une trilogie de films «de peur» qu'il tourne pour la RKO, studio alors réputé pour ses budgets modestes et l'efficacité de ses techniciens. De fait, La Féline, Vaudou et L'Homme léopard compensent leur peu de moyens par une direction artistique inventive, une photographie faisant la part belle au clair-obscur, rehaussant le travail détaillé et méthodique sur les décors (en dur ou complétés par de superbes matte-paintings).Ce style convient parfaitement au projet de Tourneur, qui montre peu mais suggère beaucoup, promenant le spectateur dans des scénarios pas toujours grandioses (et forcément datés) en lui faisant miroiter la prochaine scène d'angoisse, pour le coup remarquable dans sa mise en scène. L'Homme léopard, dernier film de la trilogie, se déroule dans un Nouveau Mexique plein de castagnettes et d'amourettes mélodramatiques, de diseuses de bonne aventure et de flics nonchalants. Dans la première séquence, à la faveur d'une mesquinerie qui tourne mal, un léopard s'échappe dans la nature. Quelques heures plus tard, une jeune fille est dépecée en revenant de l'épicerie, première victime de l'animal… qui n'en est peut-être pas un ! Ce «meurtre» est l'occasion d'une belle démonstration de la part de Tourneur : la victime doit passer sous un pont dans un terrain vague. Pour le cinéaste, c'est surtout l'ooportunité de la faire disparaître dans l'obscurité, de faire surgir un train invisible figuré par des rais de lumière sur son visage et une bande-son stridente, de la regarder s'approcher d'un plan d'eau inquiétant. Tourneur sculpte la peur avec de la lumière, et définit une forme d'angoisse primitive, celle que les meilleurs séries B d'horreur exploitent encore aujourd'hui.
Christophe Chabert

L'Homme léopard
Mercredi 18 janvier à 20h


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