"La Loi du marcheur" : éloge de la durée

Nicolas Bouchaud incarne avec un plaisir non dissimulé le critique de cinéma Serge Daney, mort en 1992. Dans un solo souvent émouvant, il interroge le pouvoir de l'image et le rapport au temps.


La Loi du marcheur est un spectacle construit à partir de longs extraits de l'entretien qu'a accordé Serge Daney à l'écrivain et médiologue Régis Debray et qui a été édité en DVD sous le titre Itinéraire d'un ciné-fils. Quelques mois avant sa mort des suites du sida, Daney parle de la naïveté réjouissante avec laquelle il est allé à Hollywood à vingt ans avec le critique et cinéaste Louis Skorecki, et comment il a rencontré, au culot, les plus grands réalisateurs (Hawks, Hitchcock...) en prétextant travailler pour une revue française qui commençait à intriguer et dont il a intégré ensuite la rédaction : Les Cahiers du Cinéma.

Le comédien Nicolas Bouchaud, mis en scène par Éric Didry, donne beaucoup de délicatesse à son personnage. Lui que l'on a souvent vu dans les distributions de Jean-François Sivadier (dernièrement La Dame de chez Maxim et Noli me tangere, pièces toutes les deux présentées à la MC2), sait transmettre ici l'émotion presqu'enfantine dont fait part Daney au cours de ces entretiens.

« Le cinéma c'est l'enfance »

Un Serge Daney qui analyse L'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat des frères Lumière comme une image extrêmement marquante. « Depuis, toutes les images bouleversent un peu moins chaque jour. » 2001, l'odyssée de l'espace de Kubrick est pour lui sa « dernière rencontre avec de l'art spontanément émerveillant ».

Sur la télévision, il est moins percutant. Il l'a pourtant étudiée pour des chroniques publiées dans Libération, mais il est révulsé par l'indignité dont font preuve les gagnants des jeux télévisés. Qu'aurait-il écrit sur Loft Story ? Aurait-il plongé corps et âme, comme David Dufresne, son successeur à Libé, dans ce programme ovni qui annihilait tout rapport au temps ?

Quelques mois avant sa mort, Daney se voulait plus que jamais passeur du bon cinéma réaliste au risque de dénigrer les images de synthèse. Nicolas Bouchaud s'amuse à redonner vie à ce critique majeur qui lui-même s'amusait tant avec le cinéma et Rio Bravo (film projeté par à-coup dans cette pièce). Puisque, comme Daney l'a souvent dit, « le cinéma c'est l'enfance, pas l'adolescence ».


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