Oslo, 31 août

Le Danois Joachim Trier adapte dans la Norvège d'aujourd'hui "Le Feu follet" de Drieu La Rochelle, transformant son anti-héros en ex-drogué ayant perdu le goût de la vie. Une errance magistralement mise en scène, sensuelle et mélancolique. CC


Anders se réveille avec une fille dans son lit. Il s'habille, traverse le périphérique, s'avance dans une forêt jusqu'à une rivière. Puis il remplit ses poches de lourdes pierres et s'enfonce dans l'eau. Au dernier moment, il renonce à son projet et utilise ses dernières forces pour retourner sur la rive. Dès cette première séquence, Joachim Trier a déjà posé l'étrange contradiction qui habite son personnage : tiraillé entre pulsion de vie et tentation du néant, Anders met son existence en balance. Le souvenir de sa vie d'avant est une douleur : la fête, les rencontres, la drogue dans laquelle il a basculé, la femme aimée qu'il a perdue et qu'il tente sans succès de joindre au téléphone… Tout cela l'a conduit en cure de désintoxication et, par une belle journée d'été à Oslo, il profite d'un entretien d'embauche pour retrouver ses amis et faire le point sur son envie de vivre.

Voyage au bout de la nuit

Le spectateur français n'aura pas de mal à reconnaître la trame du Feu follet de Pierre Drieu La Rochelle, déjà génialement adapté par Louis Malle avec Maurice Ronet. Oslo, 31 août s'en inspire librement. Si l'addiction diffère, la fêlure reste la même : Anders souffre d'un sentiment de détachement mais aussi de gâchis, et face à l'embourgeoisement de ses anciens partenaires de défonce, face à la jeunesse délurée qui s'enivre au cours de nuits blanches, face à un patron qui hésite à engager un ex-junkie, il a l'impression de ne plus avoir de place sociale. Le talent de Joachim Trier, déjà auteur du remarqué Nouvelle donne, c'est d'envisager  le mal-être d'Anders à travers une mise en scène sensorielle qui crée un contraste constant entre sa mélancolie et la vie qui palpite autour de lui. Comme le prologue documentaire le laissait entendre, Oslo devient ainsi un personnage à part entière du film : le bruit de la ville (la bande-son, remarquable, en restitue toutes les ambiances), ses lieux les plus connus ou les plus secrets, la beauté de ses filles (on a rarement vu si splendide défilé d'actrices !), la joie de ses soirées… Le plaisir est à portée de main, mais Anders ne s'y engouffre jamais. Oslo, 31 août vise, avec patience, délicatesse et attention, à l'empathie totale avec lui. Sa réussite prouve qu'il faudra désormais compter avec un autre Trier au nord de l'Europe…


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