Elena

D'Andreï Zviaguintsev (Russie, 1h49) avec Nadejda Markina, Andreï Smirnov…


Elena était femme de ménage mais a fini par se marier avec son employeur. Leur demeure bourgeoise figure une Russie hors du temps, figée, loin des temps présents. Et soudain, boum ! Elena sort, prend le métro et se retrouve de plain-pied avec le Moscou d'aujourd'hui. C'est un choc, que la mise en scène intensifie par des plans plus courts et la musique sérielle de Philip Glass, judicieusement employée. Le film prend alors son envol et ne redescendra plus des hauteurs. Le nœud du drame se met en place, une fracture sociale que seuls les allers et venus d'Elena empêchent d'éclater au grand jour. Il y a du génie dans la manière dont Zviaguintsev fait basculer le récit : un plan fulgurant où un accident se produit l'air de rien, une conversation entre gens distingués qui vire au règlement de compte social et enfin, un climax en trompe-l'œil, dont le calme à l'image ne doit pas masquer l'incroyable violence politique. Car pour l'auteur, les deux mondes (les puissants arrogants et les pauvres revanchards) ne se feront jamais de cadeaux. Il choisit donc l'impensable : le crime comme moyen ultime de redistribution des richesses. Et le châtiment ? À d'autres… Zviaguintsev préfère rester cinéaste jusqu'au bout, et braquer sa caméra sur un personnage secondaire le temps d'une baston hallucinante au crépuscule et en plan-séquence. Elena est un modèle de film libre.
Christophe Chabert


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