La belle introduction d'Entre les Bras montre la préparation d'une assiette plein cadre : vide au départ, elle se remplit peu à peu d'une multitude d'ingrédients, des touches d'épices, des giclées de sauce. La main du chef est celle d'un peintre, un peu Jackson Pollock, un peu Cézanne. C'est un des sujets du film : montrer que l'art culinaire est avant tout de l'art, une forme d'inspiration qui capte et recrée des sensations visuelles. Au départ, le projet de Paul Lacoste était de filmer la succession compliquée entre Michel Bras et son fils Sébastien, au fil du passage des saisons, de leur restaurant sur le plateau de l'Aubrac à l'enseigne qu'ils ouvrent au Japon, de leur environnement familial à la solitude du créateur face à ses œuvres. Self made man génial, Michel Bras regarde avec inquiétude les progrès de son fils, qui de son côté retient son exaspération face à ses intrusions répétées. Si l'enjeu est énorme (le restaurant est un trois étoiles, noté 19, 5 au guide Michelin), le spectacle est plutôt comique, façon Auguste et clown blanc. Le film trouve aussi une manière très personnelle d'inscrire la gastronomie raffinée des Bras dans une mise en scène attentive à la beauté de la nature et de l'architecture, filmant la méticulosité et la précision du geste avec une grande sensualité. La tendresse pudique des sentiments familiaux, la mélancolie du temps qui s'enfuit, tout cela fait la matière de cet étonnant documentaire, nullement déplacé sur un écran de cinéma. Christophe Chabert