"Une souris grise" : la merditude des choses

Avec fidélité, Grégory Faive monte "Une souris grise", un texte de Louis Calaferte à l'humour potache. C'est drôle, vivant, agité, voire même acide par moments. Aurélien Martinez


Ça commence par une scène surprenante : un enfant se plaint de gargouillis au ventre. Il désire se rendre expressément aux toilettes, mais son père, malade comme lui à cause d'une rascasse visiblement avariée, s'y trouve déjà. Sa pauvre mère est donc contrainte de gérer la situation comme elle le peut, en essayant de garder la culotte du petit propre. Car c'est que l'on a du monde à déjeuner qui ne devrait pas tarder, et il s'agirait de ne pas faire mauvaise impression à ces invités si importants.

Une souris grise, pièce de l'auteur français Louis Calaferte (1928 – 1994), se place délibérément du côté comique, en jouant sur l'incongruité d'un tel postulat pour une œuvre de théâtre. Le metteur en scène grenoblois Grégory Faive s'inscrit pleinement dans cette veine, n'hésitant pas à surligner les intentions de Calaferte. Ainsi, quand le couple tant attendu arrive – le nouveau puissant patron de Monsieur, accompagné de sa femme –, les comédiens qui les incarnent parlent tous deux avec un accent allemand proche du surjeu. Normal, le couple est allemand.

Servitude volontaire

Mais derrière ce qui pourrait s'apparenter à un simple vaudeville contemporain aux entournures scatos, se cache en vérité un discours beaucoup plus corrosif qu'il n'y paraît. Sur une durée courte (le temps d'un repas), Calaferte met en lumière la férocité et l'absurdité de la comédie humaine. Un monde où l'on se doit d'épouser benoîtement les desiderata des plus puissants que soi, pour leur plaire d'abord, et surtout pour ne pas se voir éjecté de la course. Quitte à se renier au passage, mais qu'importe, le jeu semble en valoir la chandelle.

C'est la France de la seconde moitié du XXe siècle, au moment où la mondialisation rentre violemment dans les foyers des classes moyennes, et où les femmes sont encore considérées comme des ménagère utiles, voire comme des potiches prises simplement en considération via la galanterie. Grégory Faive pointe avec justesse ce sous-texte, tout en essayant de ne jamais faire retomber le rythme imposé par l'auteur (il n'y arrivait pas toujours le soir de la première). Dans un décor très seventies, les comédiens s'y attèlent aussi, certains avec brio. Notamment Émilie Geymond et Benjamin Meneghini, merveilleux mère et fils qui parviennent à imposer de la retenue et de la finesse dans leurs personnages pourtant taillés à la hache.

Une souris grise, jusqu'au samedi 5 mai, au Théâtre 145 (programmation du Tricycle).


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