« Vous êtes vraiment des sauvages! »

Originaire de la tribu des Huli de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Mundiya Kepanga viendra présenter samedi son film "L'Exploration Inversée", réalisé avec son ami de longue date, le photographe Marc Dozier. Il a accepté de répondre à nos questions. Propos recueillis par Damien Grimbert


Pouvez-vous vous présenter rapidement et me dire comment vous vous êtes rencontrés avec Marc ?
Mundiya Kepanga: Je m'appelle Mundiya Kepanga, et je suis un Papou de la tribu des Huli en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le Blanc qui traduit tout ce que je dis s'appelle Marc Dozier, et lui, il vient de France. Il y a très longtemps, en 2001, Marc est venu dans ma tribu pour la photographier. Je l'ai guidé au sommet des montagnes, je l'ai emmené dans les vallées photographier des cascades, et photographier ma tribu. J'étais son guide, et je suis devenu son ami. Je me suis occupé de lui, et je ne lui ai jamais rien demandé, pas d'argent, rien du tout. Ça l'a beaucoup touché que je prenne soin de lui comme ça pendant plusieurs semaines. Alors quand il est rentré chez lui en 2001, il s'est souvenu de la générosité dont j'avais fait preuve à son égard avec mon cousin Polobi, et il a décidé de nous inviter en France pour nous remercier.

Comment est née l'idée de L'Exploration inversée, et de quoi parle le film ?
Marc nous a invités en France une première fois en 2003. On a voyagé du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, et on a découvert la tribu des Français. Je n'avais aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler votre pays, j'étais très étonné, et vraiment très curieux de le découvrir. En 2006, Marc m'a invité une deuxième fois avec mon cousin, et nous a proposé de réaliser un film dans lequel on donnerait notre avis sur vous, les Blancs. J'étais très impressionné, parce que je n'ai jamais fait de film, et mes ancêtres non plus. C'est vous les Blancs qui avez inventé les films, les caméras, moi je ne connais rien à tout ça. Mais mes ancêtres m'ont dit qu'il faut toujours tout essayer, alors on a décidé, même si c'était très difficile, de réaliser ce premier film pour Canal+ qui raconte notre point de vue sur les Français. Je crois qu'il a eu du succès parce qu'on me félicite toujours en me disant que notre film est très réussi. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais je suis très content, et si je peux, j'en réaliserai un deuxième.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans cette expérience ?
Ce qui m'a le plus plu en France, c'est votre groupe de danse traditionnelle, le Moulin-Rouge. J'ai adoré ce spectacle. Ça c'est pour le côté positif. Par contre, il y a quelque chose d'autre qui m'a beaucoup surpris, c'est que vous, les Blancs, vous n'êtes pas partageurs. Vous savez, dans mon pays, lorsque quelqu'un n'a pas à manger, on lui donne à manger. Lorsqu'il n'a pas de maison, il dort chez nous. Lorsqu'il n'a pas de femme, tout le monde contribue pour payer la dot pour qu'il puisse se marier. Mais vous, les Blancs, vous n'êtes pas partageurs. En France, à Paris, dans le métro, j'ai vu des hommes, des femmes qui étaient assis par terre, sans rien à manger, sans maison. Ils ont froid, et vous ne leur donnez rien, c'est comme s'ils n'existaient pas. J'ai trouvé ça d'autant plus étonnant que vous prenez extrêmement soin des animaux. Je ne comprends pas pourquoi vous prenez plus soin des chiens et des chats que d'autres gens.

Vous venez de sortir un livre, Au pays des hommes blancs
Je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire, mais j'ai eu la chance de voyager en Europe, et de découvrir beaucoup de vos coutumes. J'ai découvert les médicaments contre les enfants [la pilule, NDT], votre soupe de fromage [la fondue, NDT], les chaussures-collines [les escarpins, NDT]… J'ai beaucoup de respect pour vos coutumes, mais vous savez, vous, les hommes blancs, vous êtes vraiment des sauvages ! Alors j'ai eu envie de raconter mon histoire dans un livre. Je me suis rendu compte que vous, vous faites du business avec tout et n'importe quoi, vous vendez des livres, des DVDs, et même de l'eau dans des bouteilles, alors il n'y a pas de raison que je ne fasse pas pareil. Marc a été mon secrétaire et moi, je lui ai expliqué toute mon histoire, toute ma vie, où je suis né, d'où je viens, et ce que je pense des hommes blancs. Honnêtement, c'est vraiment fatigant d'écrire un livre, il faut rester assis, concentré, c'est vraiment une activité des hommes blancs. Mais je suis très fier de l'avoir fait et j'espère que le livre vous plaira.

Ça fait maintenant plusieurs fois que vous venez en France, est-ce que vous commencez à vous sentir un peu chez vous, à force ?
Oui, bien sûr. C'est maintenant mon cinquième voyage en France, j'ai appris beaucoup de choses sur vos coutumes et je connais votre nourriture, votre façon de marcher, de dormir, de parler. J'ai l'habitude de vivre chez vous. Alors maintenant, lorsque je rentre, mon corps rentre chez moi, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais mon esprit, lui, revient souvent en France, parce que c'est un peu mon deuxième pays.

L'Exploration inversée, présenté par Mundiya Kepanga, samedi 5 mai à 16h, à la bibliothèque Kateb Yacine.
Au Pays des Hommes Blancs, livre de Mundiya Kepanga, disponible exclusivement sur www.marcdozier.com


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