«Une dimension de fête»

Le festival Les Arts du récit, grand conteur d'histoires en tous genres qui investit chaque année les nombreuses salles partenaires de l'agglo, en est à sa vingt-cinquième édition. À cette occasion, Henri Touati, son directeur, nous a reçus pour évoquer le passé, le présent, et l'avenir. Propos recueillis par Aurélien Martinez


C'est donc la vingt-cinquième édition du festival. Pourtant, aucune fête particulière n'est prévue... Cette envie de sobriété est-elle liée à la conjoncture actuelle dans le milieu culturel ?
Henri Touati : La conjoncture n'est pas l'élément central, même si elle a forcément apporté une gravité dans la façon de regarder le projet culturel que l'on porte. Évidemment, faire une grosse fête au moment où l'on se débat avec certaines difficultés ne serait pas très cohérent. Et puis, de toute façon, on fait un festival qui a une dimension de fête, quoi qu'il arrive. 

Malgré tout, la conjoncture vous a contraints à annuler des évènements...
Cinq projets – quatre spectacles et un colloque – qui avaient été engagés, dont certains au niveau de la production, ont dû être supprimés. Car le problème d'une structure qui gère un festival, tout en ayant une activité à l'année, c'est que le festival pèse lourd. On ne peut avoir d'effets que sur le long terme lorsque l'on change une procédure. On a donc eu le sentiment qu'il fallait prendre les choses très vite, à bras le corps, et resserrer budgétairement. Quand en février dernier, on a vu le danger arriver, on s'est rendu compte que l'on ne pourrait pas attendre 2013 pour réagir. Alors on a mené cette opération sauvetage. Le risque des 25 ans, justement, c'est une sorte d'habitude. Que tout le monde se dise que l'on est là, que l'on existe, que l'on continuera forcément. Pourtant, cette fragilité permanente des structures culturelles indépendantes, c'est un fait dont les collectivités n'ont pas réellement conscience. Elles ne se rendent pas compte de la fragilité d'un projet culturel, fragilité accrue par leur désengagement...

Quand vous regardez les 25 dernières années, le bilan doit être positif ?
Quand on est partis il y a vingt-cinq ans, l'idée était de défendre quelque chose de naissant. Car quand on a commencé le projet, la discipline elle-même était naissante...

Ce qui est paradoxal pour un art ancestral !
Elle était naissante dans sa dimension artistique. À partir des années 75-80, des artistes s'en sont emparés, alors qu'avant, c'était plutôt une pratique sociale. Donc au départ, on ne pouvait pas imaginer que l'on serait à ce stade-là aujourd'hui, que l'on serait l'un des moteurs de la discipline en France – voir même au niveau international...

Cette année, à l'intérieur du festival, qui durera deux semaines, on pourra découvrir un petit festival lors du pont de l'Ascension, avec des artistes régionaux...
À chaque fois que le festival court sur les dates de l'Ascension, on se demande ce que l'on va faire de ce week-end. On propose donc, pour la deuxième fois, un petit festival qui permet de découvrir trois spectacles dans la même journée et dans le même secteur géographique – le quartier Berriat : Théâtre de poche, Théâtre 145 et Salle noire. Avec l'idée que l'on va découvrir quelque chose de nouveau, et en accordant une grande place aux artistes d'ici. C'est toujours compliqué parce que les conteurs qui vivent et travaillent ici sont beaucoup vus pendant l'année, alors le public ne vient pas forcément les revoir dans le cadre du festival. Mais comme là, il y a un fort travail de création, de recherche, on va gagner le pari je pense!

Le festival se fera aussi l'écho d'un projet consistant à écrire son propre discours de Grenoble, en réaction à celui prononcé en 2010 par Nicolas Sarkozy...
Au-delà du récit lui-même, on se pose tout le temps la question de toutes les formes de l'oralité. On a beaucoup travaillé sur le slam pendant des années, bien avant que ça s'appelle slam ! La question du discours, ça fait très longtemps que l'on y réfléchit, en se disant qu'il y a une forme, une réalité de la rhétorique différente du récit, qui est quelques fois même une sorte de récit – on le voit bien avec les politiques aujourd'hui. Alors quand l'équipe de Villeneuve Debout [un collectif inter-associatif – NDLR] est venue nous voir à la fin de l'année dernière, très rapidement, cette histoire de discours est revenue, à travers celui de Grenoble, mais aussi autour de l'idée de la prise de parole, de la capacité des gens à dire eux-mêmes... On le voit à l'année, dans nos ateliers avec des prisonniers, des SDF, ... : la parole est un outil d'une dignité forte pour ceux qui sont parfois éloignés du champ social. Sur le discours de Grenoble, l'idée est de le faire disparaître derrière d'autres paroles. On en a reçu environ 90, dont une quarantaine d'habitants de la Villeneuve. On pourra les découvrir tout au long du festival. Notamment le samedi 12 mai : on va s'installer dans le Jardin de ville. Et l'ambiance dépendra du résultat des élections [l'interview a été effectué le jeudi 3 mai - NDLR] : ce sera soit une fête de la parole, soit un moment de volontarisme !


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Tout doit disparaître