Collections à Durée Indéterminée

C'est le propre des collectionneurs dans le domaine privé, et celui des musées dans le domaine public : préserver et acquérir les œuvres d'art qui, au fil du temps, constituent les témoins de l'évolution des civilisations. A Grenoble, plusieurs musées tiennent ce rôle fondamental, mis en lumière lors d'évènements comme celui de la Nuit des musées de ce week-end… Laetitia Giry


Le statut de l'objet d'art par rapport aux autres productions artistiques est de fait particulier. Le théâtre et la danse offrent une œuvre qui correspond à un moment et ne peut qu'être éphémère, le cinéma s'appréhende par l'intermédiaire d'un support qui enregistre et diffuse, la musique propose les deux à la fois… L'œuvre plastique, elle, est par définition matérialité suprême, à laquelle l'homme confère un certain sens, une certaine forme. A partir de ce postulat, les phénomènes de vente, échange et conservation de ces objets deviennent les pendants de leur création. Legs, dons, achats, vols, confiscations : chaque époque voit se développer des intérêts différents, se cristalliser des problématiques nouvelles, un marché de l'art à son image (comme le prouve la bulle spéculative de nos temps voraces et démesurément fascinés par l'argent). Les collections peuvent se vanter d'être un véritable patrimoine et un outil d'absorption du contemporain. Et, malgré les évolutions incessantes, persiste une certitude : celle de toucher là à un enjeu de civilisation, autant culturel qu'essentiel.

Le privilège grenoblois

Si le Musée de Grenoble jouit d'une réputation nationale et internationale, ce n'est pas seulement parce qu'il joue un rôle de centre d'art contemporain important (on pense à la monographie Gerhard Richter de 2009 ou à l'exposition Wolfgang Laïb de 2008), ni parce qu'il organise de grandes rétrospectives historiques pour le moins salutaires (les Impressionnistes en 2010, Die Brücke en ce moment-même), mais bien parce que sa collection, vieille de 200 ans, compte parmi les plus impressionnantes du territoire français. « En termes de mission, agrandir et prendre soin des collections est plus important que d'organiser des expositions temporaires. L'identité du musée, sa justification première, son existence même, il la doit aux collections. On est à la fois dans la présentation de l'art en train de se faire, et le principal lieu patrimonial de Grenoble. » Et, de fait, « la collection du musée, c'est plus de 25 000 objets – tableaux, dessins, sculptures. On en présente un peu moins de 900 dans les salles, mais ce que l'on présente c'est quand même le dessus du panier, les plus belles œuvres, les plus belles peintures. » Guy Tosatto, le directeur du musée, évoque aussi la création du Club des mécènes au printemps 2010 avec une satisfaction proche du soulagement : « Cela a été une très bonne chose que le Maire de Grenoble [Michel Destot, ndlr] s'engage pour créer un système qui permette d'augmenter encore le pouvoir d'achat du musée » car,  « 390 000 euros c'est un beau budget mais qui, compte-tenu des prix du marché aujourd'hui, reste un budget modeste par rapport à ce qui serait nécessaire si on voulait véritablement acquérir à la fois de l'art ancien, de l'art moderne et de l'art contemporain. » Une aide qui a par exemple permis cette année l'acquisition d'un collage cubiste de Picasso à 750 000 euros. Si la somme peut paraître exorbitante, elle correspond aux prix du marché ; et cette dépense s'inscrit dans la volonté, voire la nécessité, de posséder des pièces maîtresse de l'histoire de l'art – comme la Nature morte aux aubergines de Matisse. Par ailleurs, « les acquisitions permettent de combler quelques lacunes, et parfois de redynamiser certaines parties de la collection, notamment dans le domaine de l'art ancien. »

Freaky collec'

Même un coup d'œil rapide aux salles d'exposition permanente permet de se rendre compte de l'ampleur et de l'importance des œuvres acquises. Une déambulation sereine et/ou curieuse à travers les salles des sculptures et celles du XXe, jusqu'à l'espace d'art contemporain, où « l'on ne peut pas tout présenter en permanence faute de place », permet de croiser une magnifique nature morte de Fantin-Latour, des peintures de Matisse, Monet, Chagall ou Soutine, des recherches sur la lumière et le noir de Soulages, ou bien encore des installations impressionnantes de Boltanski et Naum Gabo. Le mieux, pour évaluer la justesse de nos propos, reste encore de s'y rendre, un jour lambda ou lors d'un événement particulier, comme la Nuit des musées… Vous pourrez alors confirmer avec nous les dires un brin péremptoire du directeur : « Les collections du musée sont le fleuron du patrimoine grenoblois. »


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