« Ne pas désespérer l'enfant »

La compagnie grenobloise Les Veilleurs, menée par Émilie Le Roux, vient de signer pour une résidence de trois ans à l'Espace 600, la scène jeune public de l'agglo nichée au cœur de la Villeneuve. Une résidence qui débutera avec la reprise du très beau spectacle Lys Martagon. Rencontre avec Émilie Le Roux pour évoquer le présent et le futur. Propos recueillis par Aurélien Martinez


Lys Martagon est un texte de l'auteur Sylvain Levey, écrit à la Villeneuve...
Émilie Le Roux :
Oui. En 2009, Sylvain était venu en résidence ici plusieurs semaines, il avait rencontré les habitants. Il logeait chez quelqu'un du quartier, et a ainsi vécu ce que vit le personnage de Lys : le grand écart entre cette réalité urbaine qu'est la Villeneuve, et en même temps, cet appel des montagnes qui entourent complètement le quartier. Du coup, il a inventé le personnage de Lys Martagon qui vit à la montagne avec sa mère, descend à la ville tous les jours, et qui est dans cette tension entre le monde urbain et la nature dans laquelle elle a grandi.

Vous aviez déjà monté ce texte en 2010...
Quand Sylvain a écrit le texte, il savait qu'il allait finir entre mes mains, parce que ça faisait partie de la commande. Il savait aussi qu'il serait créé avec des amateurs – ceux de l'Espace 600 en l'occurrence. Il y a donc eu le spectacle, et j'avais plutôt envie que ça s'arrête là. Mais plusieurs professionnels nous ont demandé d'en faire une production professionnelle. Du coup, le spectacle pro a été créé à Grenoble la saison passée. Il a connu une tournée française ensuite. Là, il revient à Grenoble, avant de repartir.

C'est un spectacle tourné vers le jeune public...
On me demande souvent si on ne fera jamais que du jeune public. Il y a cette idée très restrictive quand on parle du jeune public. C'est comme si c'était du théâtre moins quelque chose. Alors que pour moi, le théâtre jeune public est avant tout du théâtre. Je travaille avec des œuvres d'auteurs qui ont une démarche d'écriture, qui ont un rapport à la littérature, à la poésie. Et ensemble, on s'est donné une responsabilité en plus qui est de ne pas désespérer l'enfant. Ça ne veut pas du tout dire qu'on va faire des happy ends. Simplement, on veut que le texte n'empêche pas l'enfant de penser qu'il a en lui de quoi grandir.

L'an passé, la compagnie s'était pourtant écartée du jeune public avec le spectacle Antigone, retour à Thèbes...
Je n'ai pas eu l'impression de faire un grand écart. C'était un texte peut-être moins jeune public, mais qui restait tout public. Et puis de toute façon, un spectacle jeune public n'est pas pour les 6/8 ans, ou pour les CP/CE1 par exemple. Il est avant tout à partir de tel âge.

Après cinq ans d'existence, la compagnie commence cette année une résidence à l'Espace 600. C'est une étape importante dans votre travail ?
Je le sens comme une reconnaissance, et aussi comme une chance. Certes, ça peut faire sourire les gens d'apprendre que les Veilleurs sont en résidence à l'Espace 600, puisque ça fait longtemps que je suis l'une des artistes complices du lieu. Mais il y a quelque chose de nouveau, on a maintenant plus de moyens pour travailler. Et en étant inscrits sur un territoire, ça nous permet d'ouvrir le champ, d'ouvrir le cercle des initiés.

Comment va se dérouler cette résidence ?
Le but du jeu n'est pas du tout d'arriver à l'Espace 600 avec des projets prémâchés, comme des copier-coller de ce que l'on ferait ailleurs. On a bel et bien nos créations, avec plusieurs spectacles programmés cette saison ; et aussi tout un volet d'actions culturelles qui vont s'inventer avec ce qu'il se passe sur le terrain, et qui auront sûrement une influence sur nos créations dans les années à venir. En ce moment, on est en train de rencontrer des habitants, des associations, des relais... On ne compte pas arriver indépendamment de ce qui se fait déjà. Car contrairement à ce que les gens peuvent penser, on n'est pas dans un quartier complètement sinistré, il y a un maillage associatif très fort.

Pourtant, ce n'est pas forcément ce que l'on retient de la Villeneuve...
(long silence) Je ne veux pas me planter sur les mots, parce que les mots sont importants, et l'on a dit trop de choses sur le quartier. C'est très compliqué de trouver les mots pour nommer et les difficultés du quartier, et ses forces. Oui, le quartier a des forces : il y a des choses ici qui s'inventent au niveau social et qui ne s'inventent pas ailleurs... C'est un quartier qui essaie de ne pas se laisser affaiblir par d'autres réalités, évidemment présentes. Car il ne faut pas non plus idéaliser la Villeneuve : ce qu'il se passe avec les faits divers se passe bel et bien ici. Mais il ne se passe pas que ça. Et nous, on espère pouvoir participer à cette dynamique des associations, même si l'on sera forcément des gouttes d'eau. On ne pas va changer le monde en deux jours. Mais peut-être faire en sorte que l'on parle de la Villeneuve pour autre chose que les faits divers. Si l'on peut servir à ça, alors on aura raison de dépenser notre énergie auprès de l'Espace 600.

Lys Martagon
jeudi 18 à 9h30 et 14h30, et vendredi 19 octobre à 19h30, à l'Espace 600


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