« Des succursales de musée »

Le quidam connaît assez bien le rôle du bouquiniste : sur les quais des fleuves des grandes villes ou dans son petit antre discret, il propose un large choix de livres de toutes sortes et de tous âges. Il existe un métier plus mystérieux – et plus en danger : celui du libraire spécialisé dans les livres anciens. Rencontre avec Geneviève Souquet, gérante de la librairie Nouvelle Saison, un honorable exemple grenoblois. Propos recueillis par Laetitia Giry


La distinction semble d'importance : « Je suis vraiment libraire de livres anciens, et non pas spécialement bouquiniste. Il faut bien faire la différence entre les deux : mon travail ne consiste pas seulement à faire du commerce, mais il se rapproche de la conservation du patrimoine. Je m'efforce de réunir des choses qui vont ensemble, d'établir des passerelles entre les différentes cultures. Car les librairies anciennes sont presque des succursales de musées. » Geneviève Souquet n'a ni peur des mots, ni froid aux yeux… Sa librairie, la Nouvelle saison, fait partie des rares dans son genre à exister et subsister. Lovée dans le quartier des Antiquaires dans le centre historique de Grenoble, son charme n'a d'égale que l'ambition de sa gérante, qui organise régulièrement des sortes d'expositions de livres dans sa vitrine, sur des thèmes comme les danses macabres ou l'Islam… Si le livre dit ancien s'arrête aux alentours de 1875, elle nous précise que son amour pour l'objet livre, avec ses spécificités de reliures, de papiers, d'illustrations, la poussent à réunir également une catégorie de livres épuisés qu'on ne trouve plus dans le commerce, des raretés introuvables, des livres d'érudition, des tirages restreints pas forcément grand public.

Tout un art

On peut se demander quel public se rend dans ces temples du livre… Apparemment : des habitués. « Au niveau de la vente, c'est particulier, car ce n'est pas grand public. Mais contrairement à ce que l'on peut penser, le pourcentage de personnes intéressées par le livre ancien est très stable. Il y a un véritable renouvellement dans les générations. » Des livres dont il est « toujours difficile de se séparer. Mais il faut cultiver l'altruisme. Je suis exactement en position de transmetteur : je possède un temps des livres que j'aime beaucoup et je les transmets. Cet instinct de propriété qui demeure est difficile… on le surmonte ! » Si elle adore les chiner, elle déplore le fait de n'avoir que trop peu de temps pour le faire et, de fait, ce n'est pas de cette manière que son commerce fonctionne. Trouvés « à 99% » chez des particuliers, dans des successions, ces objets qu'elle achète, classe et stocke sont quand même accessibles (en partie) à qui voudrait se constituer une bibliothèque un peu précieuse. Des éditions de poche aujourd'hui difficiles à trouver étant vendues autour des 10 euros… Alors, si les prix peuvent vite monter en flèche, ils ne sont pas une fatalité !

Défendre le réel

Quand on lui demande comment elle reconnaît une perle rare, Geneviève répond avec modestie et malice : « On va dire que c'est un métier ! Cela fait 50 ans que je m'intéresse aux livres… Il n'y a pas d'études, de licence qui mène à cela. C'est la fréquentation personnelle de tous les lieux où se trouvent des livres qui joue ce rôle de formation. Librairies, bibliothèques… avec comme moteur la passion. » Moins enthousiasmante est la situation actuelle de ces libraires très spécifiques : « Les livres ont une cote… et avec internet, tout a été étalé publiquement alors qu'auparavant, on n'avait d'autre choix que d'acheter à un professionnel, avec des références de ventes publiques, de l'expertise dans l'estimation du livre. Internet a complètement bouleversé cela. » Certains ont mis la clé sous la porte, étranglés, d'autres ont joué le jeu de la virtualité et sacrifié leur boutique physique… C'est ainsi qu'il y a « vraiment de moins en moins de libraires installés, avec des vitrines qui donnent sur la rue ». Et le contact humain qui va avec…

Librairie Nouvelle Saison, 2 rue Voltaire, Grenoble


<< article précédent
Les Paradis artificiels