La condition ouvrière

Avec "Mélancolie ouvrière", Michelle Perrot, historienne du travail et des femmes, brosse avec finesse et émotion le portrait de l'Iséroise Lucie Baud, liant la destinée individuelle héroïque et tragique de cette femme hors-du-commun à celle des ouvrières du début du XXe siècle. Christine Sanchez


Paru chez Grasset dans Nos héroïnes, collection consacrée à des femmes méconnues au parcours exceptionnel, Mélancolie ouvrière est une biographie délicate, à la portée historique et littéraire. Ouvrière de la soie, militante syndicaliste et meneuse de grèves à Vizille et à Voiron entre 1904 et 1906, la figure de Lucie Baud (1870-1913) est celle d'une Marianne, véritable « porte-drapeau » de la cause prolétarienne. En dépit de sa très modeste condition, elle est parvenue à fédérer les ouvrières qui l'entouraient et a orchestré des grèves qui ont obtenu une certaine résonance médiatique au niveau local. Plus étonnant, elle s'imposa à l'échelle nationale comme l'une des seules femmes – aux côtés de personnalités féminines majeures de l'époque parmi lesquelles Rosa Luxembourg – à avoir collaboré au Mouvement socialiste (revue engagée éditée de 1899 à 1914 par Hubert Lagardelle).

Les lendemains qui pleurent

Lorsqu'on se souvient de La Condition Ouvrière de Simone Weil, ouvrage dans lequel la philosophe fait état de son expérience à l'usine (qu'elle s'était imposée alors qu'elle recherchait le « contact avec la vie réelle »), expliquant notamment que ce « travail est trop machinal pour offrir matière à la pensée », on mesure le courage qu'il a sans doute fallu à Lucie, veuve avec deux enfants à charge, pour oser penser autant. Et persévérer, au risque de perdre son emploi pour affirmer le droit des ouvrières à de meilleures conditions de travail. Car ce que Michelle Perrot évoque largement (bien qu'en filigrane), c'est l'insoutenable pénibilité du travail en usine, l'aliénation engendrée par la cadence et le morcellement de tâches de plus en plus rationalisées, certes en faveur d'un accroissement du rendement productif, mais au mépris total de la santé physique et morale des ouvrières. C'est enfin avec une sensibilité certaine que l'écrivaine raconte la mélancolie des lendemains de grève, le désespoir après l'espoir, incarné en force par la violente tentative de suicide de Lucie en 1906.

Rencontre avec Michelle Perrot, jeudi 24 janvier à 18h30, à la Librairie le Square


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