"Lendemains de fête" : jouir et mourir

Retour sur la dernière pièce de Julie Bérès créée à la MC2.


Avec sa nouvelle création Lendemains de fête, Julie Bérès se détourne quelque peu des préoccupations plus politiques de ses précédentes pièces (Sous les visages, Notre besoin de consolation) pour s'intéresser à un univers intime fait d'inquiétudes existentielles, d'envie d'amour et de vitalité.

L'ensemble s'appréhende comme une tentative de réponse à la question écrite sur un élément du décor à la fin : « Et toi mon cœur, pourquoi bats-tu ? ». Le propos est simple, il interroge sur la valeur de la vie, la peur de la mort, le vécu de la vieillesse comme un empêchement progressif… Ici, un couple de personnes âgées vit le drame de la perte de mémoire (sénilité ou Alzheimer ? peu importe), l'homme traversant crises d'angoisse rageuses ou désespérées. Autour des deux comédiens (Christian Bouillette et Evelyne Didi, tous deux admirables), une équipée d'acrobates vient incarner leurs peurs, leurs potentiels déchus ou ceux qu'ils étaient jeunes ; comme autant de fantômes, réminiscences ou autres souvenirs, ils s'agitent et mettent en action un principe de vie allant jusqu'à l'essoufflement.

Ce qui nous attend tous

Se côtoient donc sur l'espace du plateau différentes époques avec une fluidité impressionnante. Une virtuosité qui n'a d'égale que celle des acrobates, jamais prétexte et servant toujours le propos de la pièce avec intelligence, la force et l'agilité des corps suggérant cette vitalité essentielle et regrettée. Quant aux corps amoindris mais mis à nus (à proprement parler) des deux comédiens principaux, ils s'imposent avec audace et sans provocation, mettent une claque aux habitudes très occidentales consistant à cacher la vieillesse – conséquence du fameux culte de la jeunesse, comme elle nous l'expliquait en interview… Sur scène, leurs corps vieillis déambulent et jouissent encore, souffrent mais profitent des mêmes joies qu'avant.

Parsemés de références philosophiques, les dialogues conservent pourtant un humour, une légèreté et une simplicité appréciables. Ainsi du principe fataliste volens nolens – ne le voulant ou ne le voulant pas, des choses se passent –, ou de l'idée très spinoziste de la joie comme « effectuation d'une puissance » comme le dit la comédienne, assurance d'un devenir qui se réduit et dont elle voit poindre la fin… Comme à son habitude, Julie Bérès fait évoluer son équipe sur un plateau mouvant, dans un décor aux trappes mystérieuses, aux trampolines cachés… Entre les bonds et les chutes, le spectateur en vient à ressentir ce qui hante les personnages : l'inéluctable précipice qui nous attend tous. Et ce sans rancune, avec le sourire même...


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