Enfant du chaos

L'espace Vallès accueille un panel d'œuvres du jeune Damir Radovic, artiste intègre et déterminé qui combat l'obscurité par la force de l'imaginaire. Assez touchant et réfléchi pour que l'on s'enthousiasme. Laetitia Giry


Né dans l'ex-Yougoslavie, terre heurtée et déchirée, Damir Radovic a « vu la guerre ». Il en a acquis une radicale inquiétude quant à l'avenir, une propension à projeter des ombres destructrices sur les choses représentées. Fatalement, sa pratique artistique se fait donc miroir et matérialisation d'angoisses nées sans doute de cette enfance souillée par ce que l'humanité sait faire de pire : « j'ai vu la mort autour de moi ». Sans excès de pathos, mais avec la malice d'un condamné croyant encore à la liberté, l'artiste n'a de cesse, par divers moyens (performances, fresques, dessins, collages), d'interpeller l'autre pour tenter de comprendre ce qui en lui peut glisser du bon vers le mauvais, tout en lui proposant des alternatives. Des vidéos nous le montrent ainsi allongé, faussement endormi dans des points stratégiques de différentes villes au pesant passé historique (de Sarajevo à Hiroshima, de Dresde à Vienne), entouré de passants qui bien souvent l'ignorent – marque d'un individualisme patenté.

Au loin, l'exode

Mais Damir Radovic ne broie pas du noir, son travail est bien souvent la manifestation d'un secours recherché dans l'imagination. Prenant « l'utopie comme moteur », il part du chaos pour tendre vers une possible échappée. Fasciné par les constructions humaines, inventions architecturales (comme celles de Le Corbusier ou Renaudie), il les extrait de leur réalité pour leur offrir un nouveau contexte, en collages ou en dessins. La cité des étoiles de Renaudie se nimbe d'une auréole de symboles funestes, quand des immeubles extravagants (du type de ceux formant la ville de Dubaï) se retrouvent passagers de bateaux au nez pointu pointé vers l'avenir. Des bateaux flottant en suspension dans le vide, dans un néant débarrassé des lois de l'apesanteur, un ailleurs fantasmé échappant à toute la lourdeur du monde. Dans leur exode, ces morceaux de villes se délestent du poids de l'histoire comme de celui du présent, pour atteindre une légèreté proprement utopique. Cette série d'une centaine de sérigraphies/collages (dont une vingtaine est exposée ici) porte le nom d'un bateau ayant transporté des Juifs d'Europe vers le Palestine en 1947, Exodus, elle incarne le rêve « de villes modernes qui se déplaceraient sur la planète, au même titre que les personnes ». Celui de fuir, s'évader, partir loin du tumulte qui menace.

Damir Radovic, rétrospectivement agile, à l'espace Vallès jusqu'au 2 mars


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