Le Revenant

2012 aura été une année charnière et chargée pour Dominique A : rééditions en pagaille, 20e anniversaire du fondateur "La Fossette", sortie de "Vers les lueurs" et publication du livre "Y Revenir", clé (des champs) mémorielle pour comprendre le bonhomme autant que son œuvre. Est-ce pour autant qu'il se repose en 2013 ? Certes non. Et par ricochets nous non plus, qui restons sans voix. Ou presque. Stéphane Duchêne


Il est des chanteurs qui se font si rares qu'ils prennent le temps de nous manquer. D'autres que l'on retrouve si souvent sur nos scènes qu'on a l'impression qu'ils habitent à la maison, qu'ils vivent en nous. Alors « peut-être finissons-nous par nous lasser », comme le chantait Dominique A sur Le Courage des Oiseaux. Car comment parler d'un artiste quand on en a déjà tout dit ? Quand de nouveaux albums, en concerts répétés, embardées littéraires et autres, on n'a plus grand chose à en dire. Particulièrement dans ces pages, qu'elles soient grenobloises ou lyonnaises, où notre fidélité à l'égard du "Nantais de Provins" est indéfectible.

C'est pourtant lui qui, dans son livre Y Revenir (Stock – La Forêt), nous tend la clé du problème, qui vaut pour lui comme pour nous : se racontant tout en cherchant à tâtons l'interrupteur qui permet de faire la lumière sur le mécanisme de l'écriture littéraire, à rebours de toute notion d'inspiration divine ou mystique : « Écrire consiste peut-être en ça aussi : reconnaître son impuissance à le faire, et s'y atteler malgré tout. Vivre, nous apprend bien que nous ne savons pas vivre, et nous le faisons quand même. » Œuvrer comme une bête de somme récalcitrante, donc, cet âne, qui lui valut quelque moquerie d'enfance lié à son patronyme véritable, Ané. Avancer coûte que coûte, Vers les lueurs, L'Horizon, À l'arrivée. Trois titres d'albums, sans doute pas par hasard.

Tout sera comme avant

C'est sans doute cette hargne rentrée, refoulée, que Dominique A découvre sur le tard sur quelques photos d'une adolescence qu'il pensait innocente, qui fait le sel de ses chansons. Quand il arrive qu'elles naissent en cinq minutes, c'est parce qu'elles ont germé pendant des années, sur un talus, un mur de pierre, le souvenir d'une rue, d'une impression. Partir, écrire, chanter, revenir, pas forcément dans cet ordre, c'est ainsi que Dominique A a toujours fonctionné, avec l'espoir éternellement déçu que Tout sera comme avant.

En 2012, pour les 20 ans de La Fossette, album fondateur à plus d'un titre, et la sortie de Vers les lueurs, son dernier disque, le chanteur opéra une série de concerts aller-retour : une première partie consacrée à La Fossette, une deuxième à ses nouveaux morceaux, les deux époques se regardant en miroir. De la même façon que dans Y Revenir, Dominique Ané scrute, constatant que non, tout n'est pas comme avant, le Provins de son enfance : un purgatoire d'ennui monochrome et sans relief qu'il s'est si souvent juré de quitter. Que l'hostilité investie ne lui en rapporte pas lors d'un retour, un vrai, pour un concert sur place. Il est devenu un symbole de réussite là où l'on semble lui être reconnaissant d'être parti se réaliser, quand il pensait qu' « on ne remercie pas ceux qui vous ont quitté et ne le savent même pas ». Comme si Provins lui chantait en choeur ce qu'elle lui avait toujours murmuré « Va t'en, va t'en, va t'en, va t'en, va t'en si tu m'aimes encore un peu ».

Voir ailleurs

De fait, d'album en album, de Rue des Marais, parfait résumé d'Y Revenir, à Terre Brune, du Ravalement des façades au Twenty-Two Bar où l'on danse un pas de deux d'approche et de fuite, de Je ne me rappelle pas de moi, à Je suis une ville ou Chanson de la ville silencieuse , ce n'est plus Dominique A qui habite Provins mais Provins qui habite Dominique A, du moins jusqu'à ce retour cathartique.

Finalement, écrire sur, parler de, Dominique A, c'est aussi, sans cesse, Y revenir, constater que c'est aller « voir ailleurs » qui « remue » ; qu'autant que ces gens avec lesquels on a grandi, qu'on a quittés, que l'on ne voit plus et dont le souvenir est un lieu dans notre cerveau, des mots sans goût dans notre bouche, ceux dont la présence régulière ou quotidienne est si indéfectible qu'elle en devient indispensable sont ceux qui, paradoxalement, nous manquent le plus. Comme eux, Dominique A a beau être là, il nous manque toujours un peu.

Dominique A + Arlt, samedi 2 février à 20h30, à la Source (Fontaine)


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