Spielberg et les autres


Qu'est-ce qui peut hanter Spielberg pour revenir plusieurs fois sur l'esclavage ? Bien avant Lincoln, La Couleur pourpre puis Amistad annonçaient déjà un sujet qui en dit long sur son auteur. Sur deux fronts (l'un la condition féminine des Afro-Américaines au début du XXe siècle, l'autre le procès des esclaves qui mena à la guerre de Sécession), Spielberg s'est évertué à filmer son pays et le peuple noir américain. Avec une telle vigueur volontariste que les deux films figurent parmi les plus décriés de sa filmographie. En cause une représentation épineuse qui, entre le mélo biblique Oprah Winfreyisé  – La Couleur pourpre, mal reçu par la communauté noire à sa sortie – et l'exercice de pénitence vantant les valeurs de la Constitution américaine  – Amistad, tourné pour corriger la réception critique du premier –, chaque film fait de cet Autre, l'esclave, le noir, une drôle de figure. On s'explique : en se penchant sur l'esclavage ou la ségrégation, Spielberg vante moins les vertus des Droits de l'homme qu'il traite de sa plus grande angoisse, la perte identitaire.

Au fond, peu importe qu'il s'agisse des Noirs, des femmes, d'un nazi, d'un voyageur bloqué dans un aéroport, d'un alien ou même d'un requin, il y a toujours un autre chez Spielberg. Un autre symbolique et interchangeable qui ne sert qu'à questionner, mettre en péril puis conforter celui qu'il croise. Ainsi, les héros d'Amistad peuvent repartir vers l'Afrique après avoir renforcé (malgré eux) les valeurs américaines ; ainsi E.T peut-il rentrer chez lui après avoir ressoudé la communauté. A l'image de Tom Hanks dans Le Terminal qui repart en ayant à peine vu New York, ce grand autre qui fascine tant Spielberg ne reste jamais, il doit toujours s'en aller, quand il n'est pas tué. La rencontre est forcément passagère, ne servant qu'à consolider des personnages ou une nation. L'esclavage n'est finalement que la grande cause morale d'un auteur qui avec Lincoln prolonge ses obsessions.

Jérôme Dittmar


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