Passion

Vaine tentative de Brian De Palma pour réactiver les fondamentaux de son cinéma, ce remake de "Crime d'amour" se traîne entre esthétique de feuilleton télé teuton et auto parodie sans queue ni tête. Catastrophe ! Christophe Chabert


Il faut d'abord se pincer pour croire que Brian De Palma est bien derrière la caméra de ce Passion. Les premières scènes, en effet, laissent plutôt penser que Claude Chabrol avait laissé en guise de testament ce remake du dernier film d'Alain Corneau. On retrouve la même désinvolture filmique, la même direction artistique ingrate, la même platitude visuelle que dans ses opus tardifs. En tout cas, pas trace du grand style De Palma ; juste des dialogues tiédasses, des intérieurs design cheap, des bureaux blancs sur blancs et deux actrices (Rachel MacAdams et Noomi Rapace) qui récitent sans conviction une partition il est vrai très faible. Même la musique du revenant Pino Donaggio ressemble plus aux compositions derrickiennes de Mathieu Chabrol qu'à celles d'un Bernard Hermann.

Viral bol

L'intrigue (mal) posée, où une ambitieuse chef d'agence de pub à Berlin (MacAdams) trahit sans vergogne son assistante (Rapace) pour obtenir une promotion new-yorkaise, tandis que ladite assistante, guère plus scrupuleuse, entame une liaison avec l'amant de sa patronne, De Palma y ajoute un sous-texte théorique qui relève du cache-misère cynique. Ici, tout le monde regarde des écrans, se filme avec son téléphone portable ou se retrouve filmé par des caméras de surveillance : le premier motif de discorde est d'ailleurs une vidéo publicitaire virale développée par l'assistante et récupérée par sa chef.

On voudrait suivre le cinéaste dans cette tentative de prolonger par la fiction pure les réflexions entamées dans son faux documentaire Redacted : un monde où l'image n'est plus qu'un grand leurre, une manipulation d'autant plus inquiétante qu'elle est généralement consentie et orchestrée par ceux qui en sont les victimes. On voudrait, mais pour cela, il faudrait qu'il propose autre chose que cette esthétique de téléfilm allemand et ce scénario inutilement compliqué, où rivalité professionnelle et rivalité amoureuse finissent par s'annuler à force de coups de théâtre et de péripéties vaudevillesques. Sans parler de l'érotisme timoré du film, aussi troublant qu'une pub pour gel douche.

Chemin de croix

Au bout d'une heure et quelque d'ennui total, De Palma, comme ses personnages, semble se réveiller en sursaut et se rappeler pourquoi il est là. S'ensuit un dernier acte frénétique et absurde où le cinéaste déballe tous ses gimmicks, jetant son histoire au feu de la vraisemblance et se contentant d'enchaîner ce qui devraient être des morceaux de bravoure, mais qui ne sont en définitive que de pauvres ersatz de son style d'antan. De Palma pense qu'il suffit de filmer penché, de cadrer des escaliers en colimaçon, de faire des split-screens ou du montage alterné pour faire du De Palma. On a un peu mal pour lui, tant il donne surtout la sensation de s'auto-parodier.

Ce n'est pas la première fois : L'Esprit de Caïn ou Femme fatale étaient déjà des exercices de maniérisme de la part d'un cinéaste qui se prenait lui-même pour modèle, et non plus ses maîtres — Hitchcock ou Einsenstein. Mais au moins ces deux films gardaient-ils une réelle virtuosité, une élégance visuelle dont Passion est dénuée du début à la fin. Il est tentant de comparer les derniers films de De Palma avec ceux de son ami Coppola : deux cinéastes nomades qui tentent de réactiver leur cinéma au contact de nouveaux territoires. Mais là où Coppola se sert de cet exil pour revenir à des sujets hautement personnels et intimes, De Palma court désespérément après une époque dont il a pressenti les enjeux et les mutations, mais qu'il ne peut désormais appréhender qu'en spectateur résigné. Son cinéma n'est plus qu'un folklore pour admirateurs bienveillants, et c'est assez triste.


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