Ceci est mon corps

"Regarde elle a les yeux grands ouverts" (1980) est un magnifique documentaire qui propose une immersion dans le quotidien intense du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) d'Aix-en-Provence, faisant toute la lumière sur cette organisation clandestine mal connue et parfois (injustement) mésestimée. Une projection est programmée au 102 en présence de Nicolle Grand, la protagoniste principale et co-réalisatrice du film. Christine Sanchez


« Cet enfant qui est là, qui s'installe, je sens bien que mon corps l'apprivoise. (...) Un enfant possible que j'imagine (…). Et pourtant j'ai décidé qu'il n'existerait pas ». Ainsi pense Fabienne, l'une des protagonistes du film, tandis qu'elle se rend à la permanence du MLAC (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception) pour subir une interruption volontaire de grossesse. Un passage intense, essentiel parce qu'il met en exergue l'absence d'aveuglement du mouvement à l'égard d'un geste pour lequel il milite tout en en mesurant la portée. Bien que nécessaire, l'avortement demeure infiniment triste.

Nicolle Grand faisait partie des six femmes du MLAC inculpées pour exercice illégal de la médecine suite à l'avortement d'une mineure en 1977, deux ans après le passage de la loi Veil. « On a continué car c'était le début, que l'avortement n'était pas remboursé et qu'il n'a pas tout de suite été ouvert aux mineures. » Avant, l'organisation palliait aux carences de la loi en permettant aux femmes qui avortaient de ne pas passer entre les mains du premier boucher venu. « On entourait les femmes de beaucoup de tendresse pour les aider à vivre ce moment difficile. On pratiquait la méthode par aspiration, simple et rapide, que de jeunes internes de Marseille nous avaient enseignée. Et on sensibilisait les femmes à la contraception. »

« Montrer qui on était »

« Ce film, qui était une demande du MLAC, est devenu une urgence lorsqu'on a été inculpées. Il fallait montrer qui on était. La sœur de Yann Le Masson [le co-réalisateur – ndlr] était dans notre groupe. Il a d'abord filmé un accouchement et on a beaucoup échangé. Il a ensuite filmé le procès et on a élaboré le script par la suite. C'est pourquoi le documentaire alterne des instants pris sur le vif avec des reconstitutions. »

Entre l'effervescence de la lutte, la poésie des visages et les deux accouchements filmés pour ouvrir et refermer le documentaire, le film parvient à traiter crûment de l'intime tout en offrant de véritables moments de grâce. Et en disant une époque – peut-être révolue? – où de nombreuses femmes étaient animées d'un profond désir d'émancipation, d'une volonté de se voir enfin confier les pleins pouvoirs sur leur corps. « On n'était pas seulement des avorteuses », confie Nicolle Grand, qui pratiquait également beaucoup d'accouchements. Y compris le sien, capté pour clôturer le film sur le plus intense des hymnes à la vie.

Regarde elle a les yeux grands ouverts, samedi 9 mars à 20h30 au 102, en présence de Nicolle Grand


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