Paradis retrouvé


Le fiasco de La Porte du Paradis (1980) est resté comme une blessure profonde dans l'histoire hollywoodienne. C'est surtout la fin d'une utopie que cet échec entérine : le Nouvel Hollywood, dont Michael Cimino fut le temps d'un film (Voyage au bout de l'enfer) le héros, et dont il devint, à son corps défendant, le fossoyeur, accusé de mégalomanie dépensière et de perfectionnisme exagéré. Pourtant, l'ambition de Cimino n'a jamais été de malmener Hollywood, et La Porte du Paradis n'a rien d'un film d'auteur arrogant. Dans ce post-western, il n'y a ni cow-boy, ni indien, mais des immigrés récents venus d'Europe de l'Est pour s'installer en Amérique, et des immigrés plus anciens, qui se voient déjà comme les propriétaires de ce nouveau monde encore en jachère. Les seconds vont donc chercher à exterminer les premiers, payant des tueurs à gage et provoquant une guerre dont l'enjeu est bien celle de la fondation d'un territoire et de sa frontière. Comme pour Voyage au bout de l'enfer, Cimino choisit de raconter cet épisode réel en se concentrant sur des personnages éminemment romanesques, et en allant les chercher à l'aube des événements, à l'université d'Oxford à la fin du XIXe siècle. La Porte du Paradis est, dans son montage original, restauré et supervisé par Cimino lui-même, une œuvre sans héros, où tous les enjeux finissent enfouis sous une couche d'amertume et de regrets. Dans cette version, le cinéaste semble d'ailleurs avoir le pressentiment de son propre destin : comme si son ambition devait s'échouer sur une époque prête à se livrer à tous les cynismes, conduisant au renoncement et au compromis. Le temps est prêt à le venger : voir La Porte du Paradis tel qu'il aurait toujours dû être vu, c'est éprouver quatre heures durant l'éblouissement d'un éden perdu du cinéma américain.

La Porte du Paradis
De Michael Cimino (1980, ÉU, 3h40) avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert…
Actuellement au Méliès


<< article précédent
Un air de changement