Delphine Dubois Fabing : « "Balai brosse" n'est pas du théâtre à thèse »

"Balai brosse", c'est un spectacle fort dépeignant le destin de quatre femmes de ménage qui refusent le sort que la société leur offre. Pour évoquer cette aventure théâtrale passionnante, on a rencontré l'auteure et metteuse en scène Delphine Dubois Fabing, qui a créé l'an passé à Eybens La Compagnie du savon noir.


Comment est né ce Balai brosse ?

Delphine Dubois Fabing : Je suis impliquée depuis longtemps dans les quartiers sensibles, dits prioritaires, de la région parisienne et de Grenoble : je constate vraiment que la question des conditions de travail a un impact fort sur la vie et la santé des gens, y compris sur les questions de santé mentale. C'est quelque chose qui, à titre personnel, me touche beaucoup.

Parallèlement, j'ai travaillé l'année dernière avec le Vox International Théâtre sur la question de l'autogestion et des conditions de travail en 1945 [le spectacle Parole de petit Brun – ndlr] : j'avais envie de poursuivre sur cette thématique, mais à l'époque actuelle. Du coup, j'ai rencontré une femme de ménage, dont le témoignage m'a beaucoup touchée, qui a été le point de départ de l'écriture de Balai brosse.

Une pièce basée sur d'autres témoignages...

J'ai rencontré six ou sept femmes de ménage, dont certaines impliquées politiquement. Ensuite, j'ai mené un travail autour de reportages, de documents sociologiques...

... pour aboutir à une pièce, et donc un travail artistique

Pour certains, Balai brosse est du théâtre politique, parce que la question des conditions de travail est une question politique. Mais ce n'est pas du théâtre à thèse ; je n'ai pas envie de dire : il faut faire ci ou il faut faire ça. Je fais bien un spectacle, une action artistique, avec une histoire, de la poésie...

Je souhaite que le spectateur ressorte du spectacle avec une série de questions qui lui permettent de prolonger sa réflexion. Ça fait d'ailleurs partie des choses que l'on met en place avec le CLC [l'Autre rive, le lieu à Eybens où se joue le spectacle – ndlr] : après chaque représentation, il y aura une rencontre avec le public et les artistes.

Vous avez centré votre histoire sur quatre femmes, interprétées par la même comédienne...

Il y a quatre histoires sur le plateau, et chacune d'elle évoque une des modalités de lutte possible pour améliorer les conditions de travail – il y en a évidemment beaucoup d'autres. Il y a donc une personne qui se met en grève,  une qui fait de la désobéissance non politique (c'est-à-dire par simple bon sens), une qui a une action très individuelle et presque violente, et enfin une qui est militante au Front national.

Sur scène, on retrouve aussi une deuxième comédienne – vous ! – qui a un rôle particulier...

L'écriture de ma pièce semblait avoir deux lacunes principales. D'abord, une femme de ménage est une personne dont on attend qu'elle se taise. La littérature sur le sujet est incroyable. J'ai par exemple acheté un roman qui s'appelle Une femme de ménage pour travailler en amont de l'écriture : il montre une femme qui se tait et sur laquelle il y a de nombreux fantasmes d'ordre sexuel. En gros, les femmes de ménage entendent tout mais ne doivent rien dire. Celles que j'ai rencontrées m'ont expliqué qu'il n'y avait rien à dire sur ce qu'elles faisaient, sous-entendu : ce n'est pas intéressant, ma parole n'a aucune valeur. Et ça répété plusieurs fois par une même personne.

Ensuite, il y a des femmes de ménage que l'on a vues dans des endroits, qui étaient très visibles avec leur énorme charriot, que l'on a recherchées ensuite... Et on nous a dit que non, il n'y avait pas de femme de ménage ici. Elles n'avaient pas été vues ! Elles sont absolument invisibles ! Ce sont donc des choses dont l'écriture de Balai brosse ne rendait pas compte, puisque j'ai mis en avant quatre femmes qui se battent, qui prennent la parole. On avait alors besoin d'un personnage qui porte cette réalité. Il y a ainsi quatre personnages écrits, plus un cinquième, qui ne parle pas, qui traverse le plateau en nettoyant. Dans l'écriture, elle s'appelle Silence.

Balai brosse, mardi 12, mercredi 13 et jeudi 14 mars à 20h30, à l'Autre rive (Eybens)


Regardez-nous

Le plateau est découpé en quatre espaces distincts, dans lesquels évolue chacune des quatre femmes de ménage de la pièce. Il y a par exemple Nadja, qui se bat avec force contre les conditions de travail ingrates que lui offrent les directeurs de l'hypermarché qui l'emploient. Il y a aussi Rosette, qui nettoie des hôtels miteux depuis ses seize ans. Il y a encore Jesse, et Jasmine. Quatre destins de femmes qui s'indignent, chacune à leur manière. Et quatre personnages interprétés par la même comédienne (Camille Pasquier) qui passe de l'une à l'autre avec aisance et fluidité.

Nous avons découvert ce Balai brosse une semaine avant la création : il restait encore des choses à caler (certaines histoires semblaient moins bien dessinées que d'autres), mais l'âme du spectacle était bien là. Un spectacle sobre et juste, qui évite l'écueil de la lourdeur, du psychologisme facile et du misérabilisme compassionnel, pour aller au plus près de ces femmes invisibles aux yeux de tous.


<< article précédent
Michael Cimino : «Je ne fais pas des films avec des idées»