Quand certains ont besoin d'être cloitrés pour penser la moindre ligne, Patrick Deville, lui, court le monde pour élaborer ses récits. Des récits qui sont alors nourris des paysages qu'il parcourt, des destins qu'il découvre... Mais Patrick Deville sait aussi se transformer en rat de bibliothèque pour cerner au mieux son sujet, ce dernier ayant toujours un rapport avec l'Histoire, la grande.
Pour Peste & Choléra, il s'est intéressé à la figure méconnue d'Alexandre Yersin, cet insatiable voyageur et aventurier en blouse blanche qui découvrit le bacille de la peste en 1894 à l'Institut Pasteur. « Pour écrire le roman, j'ai travaillé aux archives de l'Institut Pasteur. Puis j'ai pisté Yersin un peu partout : en Suisse, en Allemagne, en Asie... » Des recherches factuelles minutieuses, bien que le résultat soit avant tout un roman, et non une biographie. « Évidemment, c'est un roman, avec des intuitions purement littéraires. Comme par exemple le parallèle que je fais entre Yersin et Rimbaud... » Ou encore le fait que Deville dessine en filigrane l'histoire artistique d'une époque, en évoquant la poésie donc, mais aussi la peinture...
L'histoire artistique, et l'Histoire tout court d'ailleurs, Peste & Choléra embrassant plus d'un siècle. « En toile de fond du récit, il y a les trois guerres – 1870, 1914 et 1940. Et même si Yersin meurt en 1943, j'invente ce personnage du Fantôme du futur qui me permet d'écrire sur le Viet Nâm en 2012. » Car l'auteur ne se contente jamais d'une seule figure pour ses romans, qui se recoupent entre eux. Et construit ainsi, pièce après pièce, une œuvre monstre. « Tous les livres constituent des chapitres d'un livre unique. Les Pasteuriens [du nom de ceux proches de Louis Pasteur, comme Yersin – ndlr], je les connais depuis longtemps. Je me suis dit que c'était le bon moment pour leur consacrer un livre. Yersin apparaît notamment à la fin de Kampuchéa [son précédent ouvrage, consacré au jeune aventurier français Henri Mouhot qui découvrit les temples d'Angkor en 1860 – ndlr]. »
Yersin aujourd'hui, Henry Mouhot hier, et avant eux l'explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza (Equatoria, 2009) ou encore le flibustier américain William Walker (Pura Vida, 2004). « Des sujets, il en pleut ! Je suis toujours sur au moins quatre livres à la fois, dans quatre zones du monde très différentes... Car tout cela est très long, ce sont des allers-retours entre le terrain et la bibliothèque... Le prochain sera un livre mexicain sur lequel je travaille depuis de nombreuses années. »
Peste & Choléra est une œuvre exigeante et passionnante qui s'offre au lecteur le plus sobrement du monde – aucun présupposé scientifique n'étant requis. Une œuvre qui a reçu le prix Femina l'an passé, confirmant la place de plus en plus importante que Patrick Deville occupe dans le paysage littéraire français – d'où un succès public qui va croissant (sa première venue à Grenoble en 2010 s'était faite devant une vingtaine de personnes seulement). « J'en suis très heureux. On n'écrit pas pour quelques happy few. »
Lecture de Peste & Choléra, samedi 13 avril à 20h, au Théâtre municipal
Rencontres avec Patrick Deville samedi 13 à 11h (Médiathèque L'Odyssée, Eybens), dimanche 14 à 11h (Maison du Tourisme) et 14h30 (Salle Juliet Berto)
À lire : l'édito du Petit Bulletin n°884, pour comprendre le titre de cet article! http://bit.ly/1q5qqyc