L'impro vise haut

Des spectacles chaque semaine, une multitude de troupes et un public de plus en plus nombreux : depuis quelques années, la scène d'improvisation grenobloise connaît de très beaux jours. Un état des lieux s'impose donc, avec notamment les acteurs en présence. Martin Bartoletti


La Basse cour, la Bobine, l'Improscénium de Fontaine, l'espace Victor Schoelcher de Seyssins, l'Ampérage, le Théâtre en rond de Sassenage... La liste (non exhaustive ici) des lieux de l'agglomération où il est possible de voir de l'improvisation est longue. Car l'improvisation, encore peu présente à Grenoble dans les années 90, explose depuis environ dix ans. D'où la présence de nombreuses troupes ici et là, dont deux professionnelles, et beaucoup d'amateurs. Et malgré quelques tensions, la cohabitation sur le territoire se passe plutôt bien : ainsi, la Basse cour accueille aussi bien les Quand Mêmes que les catchs du Tigre ou encore l'Impropub (devenu depuis quelques mois Tête au cube, et qui s'est lancé dans le concept de « pièce improvisée »).

« Être prêt à tout »

« Se faire plaisir, faire plaisir aux autres et faire plaisir au public » : trois règles essentielles  qu'aime rappeler Patrick-Denis, membre de la troupe grenobloise des Quand Mêmes. Des règles – ou plutôt un code – que l'on retrouve chez toutes les compagnies. Comme pour encadrer un enfant voulant partir dans tous les sens, l'improvisation se doit d'être un (tout) petit peu structurée pour toucher les spectateurs. « Il faut être à l'écoute tout le temps, ne pas vouloir diriger les choses, mais surtout être prêt à tout » : voilà comment Philippe, comédien amateur du Tigre (pour Théâtre d'improvisation grenoblois), conçoit une bonne impro.

Le lâcher prise est sans aucun doute le leitmotiv de tous les improvisateurs. Savoir se détacher d'un texte qui n'existe pas, s'éloigner des clichés pour surprendre la salle, créer un univers en quelques secondes à partir de bribes d'informations : c'est le pari, souvent risqué, que propose cette forme d'expression. Pourtant, malgré une base du "métier" commune, les troupes cultivent les différences. Alors que les Quand Mêmes jouent avec brio sur le registre de l'humour, le Tigre tente de faire passer d'autres émotions. « On aime trouver des impros un peu plus sentimentales » précise Philippe. « C'est dommage de toujours tout tourner vers le côté marrant. » Les possibilités offertes par l'improvisation ont ainsi pour seules limites les barrières de l'esprit, ou dans certains cas, le coup de sifflet d'un arbitre.

Vive le Canada

Car en fait, tout n'est pas permis. Ou du moins, certaines pratiques de l'improvisation sont davantage réglementées. C'est le cas du match, créé en 1977 au Québec par le Théâtre expérimental de Montréal. Ce type d'impro se rapproche presque d'un sport – il en a la forme en tout cas. Deux équipes, un arbitre, et au bout de la rencontre la victoire ou la défaite. Le match emprunte au pays de l'érable l'univers de son sport national : le hockey sur glace. Décor de patinoire, arbitre vêtu d'un polo rayé noir et blanc, palet pour le tirage au sort : seule la violence de ce sport rugueux ne figure pas dans le cahier des charges de l'impro. Le match est alors une suite de courtes séquences d'improvisation. L'arbitre décide du thème (par exemple, « ce qu'il ne faut jamais dire chez son médecin »), du nombre de joueurs et de la durée de la partie. Une fois le jeu lancé, l'arbitre peut intervenir et siffler des fautes, comme l'utilisation illégale d'un accessoire, le refus de jeu ou encore le recours à un cliché.

La complexité du match réside dans le fait d'affronter un adversaire. Il ne faut pas trop le mettre en valeur, mais aussi pouvoir le relancer judicieusement, l'écouter et parvenir à créer une histoire ensemble. En bref, « l'autre », qui est habituellement d'une grande aide, peut être dans ce cas-là un sacré handicap. Et qui dit match, dit résultat. Une fois de plus, c'est le public qui doit être conquis par la performance des acteurs. À main levée ou avec un papier de couleur, il tranche et son verdict est sans appel. Chaque quatrième jeudi du mois, la Ligue1pro38 propose des matchs amateurs à l'Improscénium de Fontaine (mais aussi plein d'autres choses).

Le Tigre, lui, s'adonne davantage au catch. Proche du match d'impro, le catch se différencie par son nombre de joueurs, seulement deux par équipe. La mise en scène est explicite : ring, costume et présence d'un arbitre. Pour Philippe, « catcheur » du Tigre, « l'arbitre est plus présent et plus constructif que lors des matchs ». « C'est aussi, peut-être, plus compliqué. Si l'impro patine, il n'y a pas deux ou trois autres joueurs qui peuvent venir nous donner un coup de main, relancer l'histoire. On ne peut compter que sur un partenaire. »

5, 4, 3, 2, 1, impro !

La rigueur, toute relative, des matchs ou du catch ne plaît toutefois pas à tout le monde. « Les matchs d'impro sont une course à la meilleure vanne pour grappiller des points » assure Stéphane des Quand Mêmes. Cette jeune troupe voit dans les matchs l'esprit de confrontation. Lassés par ce genre de show, les Quand mêmes se sont tournés vers un style plus libre mais aussi plus risqué : le spectacle d'impro. Pas d'arbitre, pas de décor, mais tout autant de folie qu'ils tentent de transmettre. Pour cela, ils s'appuient sur un maître de cérémonie. Lui et le public sont à l'origine de chaque saynète jouée par les comédiens. « Il faut maintenir le public en forme, arriver à le faire se sentir concerné et qu'il soit réactif » explique Ludo, « présentateur » de cette Improthérapie.

En effet, les Quand Mêmes misent une bonne partie de leur spectacle sur l'auditoire. C'est lui qui définit ce qu'il veut voir jouer sous ses yeux. Lors d'un spectacle auquel nous avons assisté, il a été possible d'entendre de la part d'un premier spectateur cette idée : « Christine joue au tennis avec cinq amis dans son appartement ». Une deuxième personne précise que cela fait l'objet d'un « reportage de 100% Mag », et une troisième donne le titre: « la petite balle ». Pas le temps de réfléchir, Ludo tend sa main et le public entame ensemble : « 5, 4, 3, 2, 1, impro ». La suite ne peut être décrite, tant les situations cocasses et la chute imprévisible d'une soirée échangiste ne seraient très simples à expliquer. Durant près de deux heures, les sketchs s'enchaînent et toute la salle de La Basse cour rit. Viviane, membre de la troupe et affamée d'improvisation, résume alors assez bien la philosophie des Quand Mêmes : « le meilleur arbitre reste le public ». Une philosophie qui pourrait être celle de tous les improvisateurs en somme.


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