L'Ampérage tient à ses nuits

Le mois dernier, la préfecture de l'Isère a tranché : l'Ampérage doit dorénavant fermer ses portes à une heure du matin (contre cinq heures auparavant). Une décision que déplore l'équipe dirigeante, qui veut que le lieu reste une salle de diffusion dédiée aux pratiques culturelles nocturnes. On fait le point. Aurélien Martinez


L'Ampérage fait partie des endroits où l'on peut écouter de la musique jusqu'à très tard. « C'est un lieu ouvert avec une programmation faite exclusivement par des associations » nous explique sa directrice Laurence Tadjine, qui se félicite ainsi de proposer des concerts et soirées variés de qualité. Car à l'Ampérage, le public (28 000 spectateurs l'an passé) vient avant tout pour les artistes, à la différence de certaines boîtes de nuit fréquentées pour l'ambiance, qu'importe le son.

Que la préfecture demande donc à l'Ampérage d'arrêter ses soirées à une heure du matin comme une salle de spectacle lambda, expliquant que seules les discothèques peuvent ouvrir si tard, sidère les dirigeants de l'Ampérage, qui déplorent ce coup asséné aux pratiques culturelles nocturnes. Pour Thomas Antoine, président du Stud, l'association qui gère l'Ampérage, « la législation n'est pas en accord avec la réalité des pratiques culturelles aujourd'hui. Ce n'est pas parce que l'on ferme à cinq heures du matin qu'on est forcément une discothèque. »

Il se fait ainsi le porte-voix des associations, qui ne comprennent pas cette décision. « Elles ont été très compréhensives en acceptant de terminer leurs événements à une heure du matin jusqu'à fin juin. Mais pour combien de temps ? »

L'Ampérage, « un projet culturel »

Un couperet que l'Ampérage ne comprend pas. Laurence Tadjine : « On avait le droit d'ouvrir tard jusqu'en 2009. Ensuite, des décrets sont passés disant que les ouvertures jusqu'à cinq heures du matin seraient réservées aux discothèques. En gros, soit vous êtes une salle de musiques amplifiées, soit vous êtes une discothèque. Cela devient flou quand, comme nous, on est une salle de spectacle diffusant de la musique amplifiée et demandant une ouverture jusqu'à cinq heures du matin. » Un flou qui, avec l'aide de la mairie, a permis à l'Ampérage de rester ouvert après une heure, jusqu'au mois dernier.

Thomas Antoine : « On est subventionnés comme projet culturel. Il y a deux mois, on a vu la mairie pour renégocier la subvention, ça s'est très bien passé. Le travail de service public, de redistribution d'argent aux associations, les élus le connaissent et le reconnaissent... Mais la préfecture se réveille aujourd'hui au bout de quatre ans, on ne sait pas pourquoi. Et la lettre du maire nous inquiète énormément parce qu'il ne nous soutient plus. »

Dans ce courrier reçu fin avril, Michel Destot va sur le terrain des nuisances sonores. Ce que l'équipe conteste, expliquant en sus qu'une fermeture à une heure du matin ne résoudrait pas ces questions, la vie nocturne du quartier n'étant pas seulement due à l'Ampérage – à 100 mètres, le Drak-Art, qui à son ouverture en 2010 a obtenu le type P (qu'ont toutes les discothèques), peut fermer à cinq heures du matin, même si le lieu n'a rien d'une boîte (il est aussi de type L, c'est-à-dire salle de spectacle, comme l'Ampérage).

« Pas de machiavélisme »

Les dirigeants de l'Ampérage craignent alors que les arguments avancés ici et là ne soient que des prétextes pour, pourquoi pas, faire disparaître le lieu. Pendant la demi-heure de conversation que nous avons eue avec eux, un nom est ressorti plusieurs fois : celui de La Belle électrique, la salle dédiée aux musiques amplifiées qui ouvrira l'an prochain dans le quartier, à deux pas de l'Ampérage. Si le Stud n'attaque pas l'association MixLab (qui sera aux commandes de cette Belle électrique), assurant au passage que leurs projets sont complémentaires, on sent que ce dossier, vieux de plus de vingt ans à Grenoble, engendre des crispations de toutes parts.

On a donc décidé d'aller interroger Éliane Baracetti, adjointe à la culture à la Ville de Grenoble, pour placer la discussion sur ce terrain. Et c'est justement lors d'une visite de chantier de La Belle électrique qu'on a pu la rencontrer. « Ce n'est pas mon domaine de compétence. Les questions d'horaires sont du ressort de la préfecture. Mais oui, il y a un vrai problème de production sonore nocturne, qui est lié à tous les lieux – l'Ampérage n'est pas plus bruyant qu'un autre. Ces questions d'horaires devront être traitées de manière globale une fois que la salle sera ouverte et que l'on verra comment elle fonctionne. Car aujourd'hui, on a assez peu d'idée de la manière dont le public va évoluer...» Certes.

Mais le problème dépasse forcément cette histoire de bruit ? L'ouverture de la future salle, avec une jauge modulable jusqu'à 900 places, préfigure-t-elle une réorganisation des équipements culturels municipaux dédiés à la musique et aux pratiques culturelles nocturnes (on imagine que La Belle électrique sera aussi sur ce créneau, notamment avec son versant musiques électroniques) ? « Je suis élue jusqu'en mars 2014 pour l'instant. Je peux vous assurer que je n'ai pas en tête l'idée que l'ouverture de La Belle électrique va entraîner la fermeture de l'Ampérage. En tout  cas, c'est imaginer que je serais bien perverse en tant qu'élue à la culture que de soutenir la construction d'une salle pour en fermer une autre. Il n'y a pas de machiavélisme là-dedans. Plus il y a de lieux culturels, mieux c'est ! Après, il faut que tout soit bien géré, en rapport avec la population. » Le dossier est renvoyé à plus tard.

En attendant, l'Ampérage devra bel et bien raccourcir ses nuits, sous peine d'être en infraction. L'équipe a demandé une rencontre avec le maire, pour envisager l'avenir (faire des travaux pour obtenir le type P ?). Car une chose est sûre : si un concert peut aisément se terminer avant une heure du matin, c'est plus compliqué pour, par exemple, une soirée bass music. Et dans ce cas, l'Ampérage ne serait plus vraiment l'Ampérage.


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