Dark Mark (Lanegan)

Voix et physique de roc(k) mais cœur attendrissant et volontiers saignant, Mark Lanegan est l'un des musiciens et chanteurs les plus versatiles et prolifiques de ces vingt-cinq dernières années. Une force de la nature qui ne force jamais la sienne, mais s'avère capable de tous les écarts. Stéphane Duchêne


Mark Lanegan, c'est un peu la voix d'un Johnny Cash indie montée sur le physique de Ron Perlman, le type abonné, et pour cause, aux têtes bizarres dans les films (La Guerre du Feu, Hellboy, Drive...) et les séries (Beauty and the Beast, Masters of Horror, Sons of Anarchy). Autant dire le genre de gars à qui on dit merci quand il vous marche involontairement sur les pieds.

Comme pas mal de ses collègues ayant sorti la tête à quelques minutes de l'avènement du grunge – il fit partie de l'éphémère The Jury avec Kurt Cobain –, Lanegan fut toujours partagé entre vacarme de fin du monde et ballades de fin d'amour. Avec ses Screaming Trees, dont on ne comprendra jamais qu'ils soient restés le grand oublié public du grunge, Lanegan émargeait dans la première catégorie.

Sa carrière « solo », parsemée d'innombrables collaborations, albums de duo et autres panouilles, est, elle, bien plus versatile. Mais même quand il s'essaie au folk, au blues ou à la country, qu'il rejoue en crooner démoniaque La Belle et la Bête façon chat et souris avec l'Écossaise Isabel Campbell (ex-Belle & Sebastian), Dark Mark est un foutu chanteur de rock. Et rien n'effraie un chanteur de rock.

Grand Canyon

Voilà pourquoi Lanegan est capable de conduire, façon Convoi de la peur, son 35 tonnes vocal sur les chemins les plus escarpés, de reprendre de droite et de gauche Bob Dylan, Tim Hardin ou Tim Buckley – frères de spleen plus que de tessiture – sans qu'il n'y paraisse, de fricoter avec Bombthebass autant qu'avec Queen of the Stone Age. Mais il est en même temps bien plus que cela : « If I were the Grand Canyon, chantait Stephen Merritt de Magnetic Fields sur l'album 69, I'd echo everything you say. »

Eh bien, Mark Lanegan est un peu ce Grand Canyon du rock américain dans lequel coulent tous les styles mais qui décide de leur chemin davantage qu'il n'est creusé par eux : eau claire, torrents de boue ou de sang – Bleeding Muddy Water sur son dernier album solo Blues Funeral.  L'homme d'Ellensburg viendra présenter à Musilac ce disque terrible, magnifique et addictif – y compris quand il flirte avec la disco new wave (!). Comme il le chantait métaphoriquement sur la face B du single Burning Jacob's Ladder – en référence au Jacob biblique donc, tentant en vain de fuir son frère Esau par une échelle dressée vers le ciel –, une fois qu'on y est plongé, on ne s'échappe pas, pas plus qu'on échappe à sa condition d'homme, au Canyon Mark.

Mark Lanegan, samedi 13 juillet à Musilac (Aix-les-Bains, Savoie)


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