Gare du Nord

Claire Simon tente une radiographie à la fois sociologique et romanesque de la gare du nord avec ce film choral qui mélange documentaire et fiction. Hélas, ni le dialogue trop écrit, ni les récits inventés ne sont à la hauteur de la parole réelle et des vies rencontrées… Christophe Chabert


Pensant probablement le naturalisme en bout de course pour raconter le monde contemporain, deux réalisatrices tentent en cette rentrée de faire se croiser réalité documentaire et fiction intime. Si Justine Triet avec sa Bataille de Solférino (en salles le 18 septembre) s'en tire grâce à l'élan vital débraillé qui irrigue sa fiction, le dispositif de Gare du Nord échoue à hisser le romanesque à la hauteur de la réalité.

Il y a d'abord un prétexte très artificiel véhiculé par le personnage de Reda Kateb, étudiant en sociologie faisant une thèse sur la gare du Nord comme «place du village global», justification scénaristique facile pour le montrer abordant commerçants et usagers. Ensuite, la structure chorale du film, avec ses trois histoires entremêlées – une femme malade tombe amoureuse d'un homme plus jeune qu'elle, un père cherche sa fille fugueuse, une agent immobilière ne supporte pas d'être séparée de son mari et de ses enfants – paraît là aussi dictée par une intention trop appuyée, celle de faire se croiser dans un microcosme à la fois unique et globalisé des destins singuliers. Que Claire Simon ait recours à un procédé devenu éculé pour souligner une idée déjà martelée dans le dialogue traduit l'excès de théorie qui pèse sur l'ensemble du film.

Caméra pas assez cachée

C'est en fin de compte quand la cinéaste revient à ses racines de documentariste que Gare du Nord trouve sa raison d'être. Les inconnus qui témoignent de leur passé et de leur activité présente – un ancien dealer reconverti dans la vente de fringues, un Népalais en exil tenant un kiosque de bonbons, un agent de sécurité relatant les tentatives des migrants pour rejoindre l'Angleterre clandestinement en Eurostar – font résonner une parole d'une sauvage authenticité, et magnétisent littéralement le regard par leur présence physique. Avec eux, le film réalise son projet : dire le monde et ses flux depuis les coursives souterraines d'un lieu de transit.

Mais cette parole et ces corps d'une criante vérité rendent d'autant plus faibles les enjeux dramatiques et faux le texte écrit pour les acteurs. Exemplairement, à deux reprises, François Damiens est reconnu comme François l'embrouille, à qui on demande s'il n'est pas en train de faire une de ses caméras cachées. Même si le film tente de se rattraper en greffant une séquence (ratée) avec son agent, le mal est fait : Damiens n'arrive jamais à rendre crédible son personnage, et la réaction des "vrais gens" à l'écran sonne comme un écho à celle du spectateur, qui reste désespérément sur le quai de la fiction.

Gare du Nord
De Claire Simon (Fr, 1h59) avec Nicole Garcia, Reda Kateb, François Damiens…


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