La mémoire dans la science

Artiste plasticien fasciné par le monde scientifique et son articulation avec le quotidien, Laurent Mulot travaille la photographie, la vidéo et le son sous forme d'installations. Sa dernière exposition temporaire, "La chambre d'écho", offre aux visiteurs un troublant voyage à travers le temps, la mémoire et l'oubli. Décryptage en sa compagnie. Propos recueillis par Guillaume Renouard


La pièce est dans la pénombre, rompue çà et là par des bocaux nimbés de lumière. À l'intérieur, des animaux baignant dans du formol : scorpions, scolopendres, serpents... Des voix tamisées émergent du silence lorsqu'on approche des cadavres momifiés. Une étrange machine côtoie un bébé singe souriant dans son bocal. Dans le fond, un grand écran diffuse les images d'un éléphant filmé en gros plan. La chambre d'écho offre une expérience déroutante et surnaturelle. Elle est l'œuvre de Laurent Mulot, artiste passionné de sciences, fasciné par la mémoire et l'oubli.

Tout a commencé par un projet que l'artiste a réalisé en compagnie du Centre de culture scientifique technique et industrielle de Grenoble, le CCSTI. L'objectif : explorer les sentiments que nourrissent les habitants grenoblois vis-à-vis du développement urbain de la presqu'île (projet Giant), et notamment de l'immense accélérateur à particules, le synchrotron. Des rencontres régulières ont été organisées entre scientifiques et habitants. Ceux-ci ont pu visiter le synchrotron et participé à des ateliers mis en place par Laurent Mulot, tournés vers la réflexion sur la mémoire. À la suite de ce projet, l'artiste a visité les réserves du Muséum de Grenoble et est resté fasciné devant la collection « humides », composée d'animaux conservés dans du formol. Parallèlement, il a appris l'existence du Mind 1024, un ordinateur conçu dans les années 1980 pour recomposer les connexions neuronales du cerveau humain. Sans succès. De ces trois expériences est née le projet « Thinkrotron », dont La chambre d'écho est l'une des trois composantes.

« Redonner une mémoire »

« Ces animaux enfermés dans leurs bocaux sont des objets en perte de mémoire. Leur conservation est impropre, l'alcool et leur formol délitent les tissus et finissent par attaquer l'ADN. Ils perdent peu à peu leur identité. Certains bocaux ne portaient même plus d'étiquette. J'ai voulu leur redonner une mémoire le temps de l'exposition, à l'aide de la lumière et du sonIls sont mis en scène, éclairés et filmés. Les sons diffusés sont les réflexions d'habitants et de scientifiques consacrées à la mémoire. » Dans un coin, la silhouette imposante du Mind 1024, une machine monolithique de cinq étages dont des bandes s'échappent par endroits. « Le Mind 1024 est lui aussi en perte de mémoire complète. C'est un projet avorté, une tentative anthropomorphique de recréer le cerveau humain sous la forme d'une machine, qui s'est soldé par un échec. Depuis, il dort dans un musée. Je l'ai placé à côté du singe, car tous deux entretiennent une relation ambiguë avec l'homme. Le singe est notre double dans le monde animal, comme Mind 1024 est une tentative de recréer l'homme dans celui des machines. »

L'écran mural diffusant la vidéo de l'éléphant, muni de sa mémoire proverbiale, achève de plonger le visiteur dans une réflexion sur l'oubli et la conservation. Mais pourquoi la chambre d'écho, et pas la chambre de la mémoire ?

« C'est l'ailleurs qui m'intéresse »

« À l'étage du dessus, un écran diffuse des images filmées dans la salle contenant les bocaux avec dix minutes de décalage. Lorsqu'ils montent l'escalier, les visiteurs se voient en train de découvrir l'exposition. Un écho intriguant, qui suscite une nouvelle fois des interrogations sur le temps et ce qui demeure en mémoire. » À l'étage, on trouve également une vidéo filmée dans les locaux du synchrotron. Les habitants qui ont participé à l'expérience y déclament des poèmes sur la mémoire. Sur un autre écran, le taxidermiste du muséum évoque son travail. Un autre élément-clé de l'exposition : « Il livre également ses réflexions personnelles sur la mémoire, mais aussi sur l'art et l'essence de l'artiste. Son intervention ouvre deux pistes à la réflexion. D'une part, son métier consiste en quelque sorte à redonner vie aux animaux morts, ou plutôt à leur donner une nouvelle incarnation plus durable mais privée de l'étincelle de vie. D'autre part, il s'interroge sur le je ne sais quoi qui imbibe toute œuvre d'art. Il déclare qu'il ne suffit pas d'avoir un pinceau pour être peintre. L'art se situe ailleurs. C'est cet ailleurs qui m'intéresse. »

Un dernier écran diffuse des images filmées dans la base de données du synchrotron. Laurent Mulot a obtenu des scientifiques qu'ils insèrent dans la mémoire des textes de poésie, perdus au milieu des données scientifiques. Des vers de 844 pieds, par écho aux 844m de circonférence du synchrotron. La caméra est posée sur un petit robot qui se déplace pour saisir les cassettes de données. Les poèmes défilent sur l'écran.

Lorsqu'on détache les yeux de la vidéo, le regard est attiré par un énorme cube bardé de noms propres. « C'est un cube mémoriel, sur lequel est inscrit le nom de tous ceux avec qui j'ai travaillé. Il y a ceux des scientifiques et des habitants, mais aussi les animaux et Mind 1024 ! Une fente permet de regarder à l'intérieur. On y voit un crâne d'hominidé vieux de plusieurs millions d'années, radiographié par le synchrotron. Je l'ai filmé de telle sorte que son regard vous suive où que vous regardiez. Notre ancêtre nous envoie un petit clin d'œil. De très loin. »

La chambre d'écho, jusqu'au 5 janvier 2014, au Muséum de Grenoble


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