Zone Libre

Francs-tireurs partisans d'un indie-rock français à la plume noire et désabusée, Tue-Loup et Versari pratiquent chacun à leur manière un rock de crise qui semble n'avoir pour objectif que d'y survivre. Stéphane Duchêne


Rares sont les groupes de rock français qui cultivent un point commun à la fois avec François Fillon et Patrick Sébastien – et malgré tout, c'est le plus important, durent. Comme François Fillon, Tue-Loup est originaire du fin fond de la Sarthe, terre de poulets élevés au grain. Comme Patrick Sébastien, il a chanté Les Sardines – mais pas les mêmes.

C'est avec l'album du même nom que Tue-Loup a inauguré sa discographie en 1997, soit 16 ans avant l'ère de la danse de l'épaule. C'est avec le suivant, La Bancale, que le groupe commence à faire parler de lui. Et avec La Belle Inutile porté par le superbe Merlin qu'il enfonce le clou, devenant un incontournable de la scène indie française.

Ce qui s'inscrit au départ dans un héritage très Noir Désir/Miossec (la plume noire de Xavier Plumas) s'oriente peu à peu vers une westernisation esthétique, à l'œuvre sur 9, sorti l'an dernier, qui fait du groupe une sorte de Calexico sarthois et néo-muratien vivifié par des coups de triques acoustiques à la Violent Femmes, lardé de coups de lames des guitares slide façon Gun Club et la plupart du temps engourdi par des atmosphères à la Swell.

Passé entre les gouttes, entre les modes et en écumant les labels indépendants goûteux (Pias, Le Village Vert, Naïve…), Tue-Loup n'a peut-être jamais vu le loup du succès massif (loin de là) mais a su résister à l'extinction.

Ostinato

À ce sujet, Versari (photo) pose la question dans le texte accompagnant leur dernier disque Ostinato : « Faut-il exister ? Se (dé)battre pour finalement simplement mourir ? Oui. Si rien ne sert à rien, il faudra avancer plutôt que d'abandonner, toujours. »

Le trio mené par Jean-Charles Versari taille froidement au couteau dans une esthétique cold wave qui convoquerait le fantôme d'Alain Bashung à la barre de Joy Division. Rythmique répétitive, guitares crissant et métal hurlant, Ostinato, produit par le maître du son de Bristol Adrian Utley, joue avec les nerfs dans une atmosphère de spasmophilie et de paranoïa généralisée, conjuguant la noirceur et l'élégance d'autres formations caverneuses (de Marc Seberg au The National primitif en passant par Madrugada).

Avec Tue-Loup mais aussi, entre autres, Mendelson et Michel Cloup, Versari montre qu'il y a encore en France un bel avenir pour le rock de crise. De toutes les crises. Et qu'il n'a peut-être jamais été aussi indispensable.

Versari + Tue-Loup, samedi 23 novembre à 20h30, à la Source (Fontaine)


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