Borgman

Pour son retour sur les écrans (français), le Hollandais Alex van Warmerdam propose une fable corrosive où une société secrète aux motivations opaques sème le chaos au sein d'une famille bourgeoise avec une méchanceté burlesque et salutaire. Christophe Chabert


Ils vivent sous terre mais communiquent entre eux avec des téléphones portables et s'habillent avec d'impeccables costumes sombres ; ils sont pourchassés par une horde hétéroclite composée d'un curé, d'un chasseur et d'un notable. Les voilà donc qui émergent de leurs terriers et vont se réfugier où ils peuvent, notamment le leader de cette communauté étrange, Camiel Borgman, qui s'en va frapper à la porte d'une belle demeure bourgeoise et demande asile au couple qui y vit, prétextant être une vieille connaissance de l'épouse. Ce que le mari prend mal, rossant férocement l'intrus… Sa femme a la faiblesse de laisser parler sa mauvaise conscience, et finit par héberger secrètement Borgman.

Alex van Warmerdam, perdu de vue depuis près de dix ans (ses films ne sortaient plus en France) s'offre ici un retour fracassant à tous les sens du terme : cette introduction traduit une souveraine maîtrise de la mise en scène et de l'écriture, la précision de l'une venant contraster avec l'incongruité de l'autre. Ainsi avancera Borgman : tout y est parfaitement huilé et machiavélique, mais tout y est aussi affaire de contre-pieds imprévisibles, le dessein et les motivations des protagonistes restant un mystère que le spectateur sera libre d'interpréter à sa guise.

Les damnés de la terre

Borgman va ainsi faire rappliquer les autres membres, tous aussi apathiques et déterminés que lui, de cette société sans nom pour mettre littéralement à sac l'ordre bourgeois qui règne dans ce foyer. Tous les moyens sont permis : assassinat, destruction, initiation sexuelle, ce qui donne lieu à une série de situations macabres ou perverses mais toujours drôles, l'humour très noir étant le carburant principal du film.

Il y a du Buñuel chez van Warmerdam, mais passé au crible visuel d'un Tati, ce qui se traduit à l'écran par un anarchisme revêtant les habits de la quiétude plutôt que ceux du chaos. Il y a surtout une réjouissante méchanceté dans ce jeu de massacre où l'hypocrisie, les préjugés et les réflexes de classe sont impitoyablement châtiés par des êtres qui sont autant des anges exterminateurs que des damnés de la terre. L'imaginaire fantastique qui irrigue sourdement le film ne trompe personne : Borgman pointe du doigt une colère très contemporaine, et les points de suspension de la dernière image laissent à penser que celle-ci grondera de plus en plus fort…

Borgman
D'Alex van Warmerdam (Hol-Belg-Dan, 1h53) avec Jan Bijvoet, Jeroen Perceval…


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