Antille atomique

Petit génie cubain adoubé très jeune par le Buena Vista Social Club, Roberto Fonseca atomise jazz, musique cubaine, rythmes africains, électro et hip-hop à coups – c'est le mot – de piano. En rendant notamment ce noble instrument à sa nature percussive. Stéphane Duchêne


Sur la pochette de son dernier album, Yo, Roberto Fonseca apparaît dans l'épure la plus totale, dénudé – lui qu'on a connu chapeauté et élégant – tout en muscles secs. Sur certaines photos, le musicien apparaît même en créature hybride, quasi mythologique, les bras changés en claviers de piano, mi-homme, mi-instrument. Manière sans doute de signifier à quel point le pianiste, Protée cronenbergien fusionnant l'homme et la machine, fait corps avec sa musique, sans que l'on puisse dire où s'arrête l'un et où commence l'autre – l'homme devenant machine et la machine devenant chair.

Si elle s'incarne ici de manière hautement symbolique, l'hybridation musicale à l'œuvre chez Fonseca – sept albums en magasin à 37 ans tout juste – ne date pas d'hier. Elle est même chez lui le produit d'une évolution – au sens quasi darwinien du terme – inévitable car naturelle. Fils de musiciens cubains, monté sur scène à 15 ans, formé à l'école Buena Vista Social Club, qui est à la salsa ce que l'école de Chicago est à la sociologie, non sans avoir tâté du classique, c'est en bifurquant vers le jazz que Fonseca a ouvert des portes de la perception qui l'ont vu glisser vers le rap et la soul cubaine.

Métamorphose

C'est donc adossé à une certaine tradition que Fonseca a choisi d'entreprendre d'incessants allers-retours, qui l'amène ici à croiser de nouveau la route de son ancien complice, le percussionniste mandingue Baba Sissoko, une tripotée d'autres musiciens maliens – dont le joueur de kora Sekou Kouyaté qui le suit en tournée – mais aussi le poète et rappeur américain Mike Ladd ou le DJ acid-jazz Gilles Peterson. Génie de la composition, Fonseca cultive un sens aigu de l'improvisation toujours prompt à faire voler en éclat la partition – si tant est qu'il y en ait une.

Et à partir des thèmes et motifs de la musique malienne, et de la tradition gnaouiya, Fonseca tisse des toiles mélodiques dont on peine à se défaire. Mais aussi d'insaisissables tourbillons rythmiques lorsqu'il métamorphose son Steinway en véritable section rythmique. Et tandis qu'il fusionne avec son instrument, les genres (funk, hip-hop, jazz), les traditions et les langues (espagnol, anglais, arabe...) s'entrechoquent avant de se fondre les uns dans les autres. Comme deux continents qui entreraient en collision pour refermer la cicatrice géante qu'est l'océan atlantique.

Roberto Fonseca, jeudi 5 décembre à 20h, à l'Hexagone (Meylan)


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