12 years a slave

Après "Hunger" et "Shame", Steve McQueen adapte l'histoire vraie de Solomon Northup, homme libre devenu esclave, mais hésite entre grande forme hollywoodienne et effets de signature, entre son héros au parcours édifiant et l'esclavagiste fascinant incarné par sa muse Fassbender. Christophe Chabert


Django unchained, Lincoln, 12 years a slave ; la question de l'esclavage aura inspiré récemment des cinéastes importants, chacun avec leur angle et leur manière. Western pop et politique marqué par la blaxploitation pour Tarantino, biographie dialectique, lyrique et fordienne pour Spielberg… L'approche de Steve McQueen est la plus frontale : le film se targue de regarder en face la question, ce que résume le premier plan où les esclaves alignés regardent la caméra et le spectateur. Au centre de ce théâtre ordinaire de l'asservissement, Solomon Nothrup ne se distingue pas du groupe, et pourtant son histoire est littéralement extra-ordinaire : homme libre, marié et père, violoniste dans la bonne société new-yorkaise, il est kidnappé et vendu à un propriétaire sudiste qui finira à son tour par le céder pour éponger ses dettes à un autre "maître" plus cruel et violent.

La figure de Nothrup lance 12 years a slave sur les rails d'une fresque édifiante : son destin, certifié par l'autobiographie qu'il a rédigée, résume le martyre des esclaves noirs, mais son parcours le singularise et renforce l'empathie du spectateur – il est plus instruit que ses maîtres, il a une famille, une philosophie et une morale, même si celle-ci sera ébranlée par les épreuves traversées.

Maître à distance

McQueen a donc entre les mains une matière parfaite pour signer un grand film hollywoodien classique ; pourtant, cette perspective semble l'effrayer, et il cherche à tout prix à la mettre à distance. Stratégie qui s'applique d'abord au héros lui-même, de moins en moins aimable à mesure qu'il se mure dans une prison émotionnelle pour surmonter son calvaire. Dans Hunger et Shame, le parcours sulpicien du personnage était indissociable de l'investissement physique de Michael Fassbender ; ici, la mise en scène le traduit en vignettes glacées dans lesquelles Chiwetel Ejiofor tente de faire ressentir la douleur de Nothrup.

C'est d'ailleurs quand Fassbender fait son entrée qu'on sent McQueen le plus libre et inspiré. À nouveau fasciné par le charisme et l'animalité de son comédien, il le laisse composer un maître pétri d'ambiguïtés, qui domine ses esclaves autant par sadisme que par désir amoureux. 12 years a slave a beau se draper dans les oripeaux du film didactique et du témoignage historique, ce sont les zones troubles et intemporelles de l'humain qui intéressent vraiment Steve McQueen – et qui font le prix de son cinéma.

12 years a slave
De Steve McQueen (ÉU, 2h12) avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch, Paul Dano…


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