Blanc sur blanc

À la faveur d'une sélection d'œuvres variées, l'exposition collective "White" du Musée Géo-Charles donne une résonance nouvelle au blanc dans l'art. Plus encore, le parcours redéfinit la notion d'espace et de temps au gré de toiles abstraites, dont l'accessibilité est de mise, pour une mise au point avec ces mouvances contemporaines. Charline Corubolo


Derrière la notion (floue) d'abstraction se cache un fondement tangible, aux applications plastiques diverses, que la nouvelle exposition du Musée Géo-Charles cherche à mettre en confrontation par le prisme d'une palette principalement composée de blanc. Un mouvement et un coloris qui, de prime abord, pourraient décourager même les plus aventureux dans ce parcours White, mais c'est sans compter sur une scénographie qui fait sens et des œuvres qui ouvrent les champs de l'analyse et/ou du sensible avec simplicité.

Bien que la teinte soit la thématique de l'évènement, l'origine découle en réalité de deux séries du photographe coréen Bohnchang Koo : White (photo) et Vessel. Malgré des sujets très différents – la première dévoile des traces de lianes séchées sur des murs, la seconde des objets relatifs à la culture de l'artiste –, l'objectif demeure le même : interroger le rapport au temps par le biais de la trace, humaine ou végétale, dans une blancheur lissée. Ce postulat de départ a abouti à un rassemblement de pièces, où la figuration est furtive et l'abstraction patente, mais toujours baignées dans une lueur immaculée.

L'invisible dévoilé

Et c'est en mettant en parallèle des toiles fondamentalement opposées, dans la technique comme dans le rendu, que l'abstraction trouve une nouvelle lecture, simplifiée et dense. Tableaux en relief, sculptures, monochromes et photographies se confrontent dans des nuances incolores et tendent à ouvrir le regard sur ce qui n'est pas visible. Tel est le leitmotiv du mouvement né au début du XXe siècle autour de peintres russes, et que l'on retrouve clairement dans l'exposition. En résonance ou en tension, les œuvres dialoguent entre elles afin d'offrir une cohérence artistique à une période énigmatique.

La proposition apparaît dès lors comme une somme d'interrogations plastiques sur des structures spatiales, avec notamment un jeu entre le plein et le vide, mais aussi des structures mentales, que l'on entrevoit avec l'artiste Aurélie Nemours et sa peinture intitulée Structure du silence, matérialisées par plusieurs rectangles noirs sur fond blanc. Le titre de la pièce renvoie à la notion propre au courant, selon laquelle la peinture ne doit plus représenter la réalité. De part une géométrie rigoureuse et épurée, le silence apparaît, le vide prend forme.

Il en est de même avec le tableau-objet Single line relief de Norman Dilworth, qui tient presque du minimal art, mouvance abstraite pour laquelle la volonté de dépouillement de l'objet, avec simplicité et lissage, c'est-à-dire sans laisser la trace matérielle de l'action de l'artiste, sont essentielles. Des lignes de bois blanches s'entremêlent selon un schéma géométrique esquissant une sorte de mandala (représentation symbolique de l'évolution universelle selon un point central), et cela même si ce courant artistique se défend de toute spiritualité. L'occupation de l'espace par ces formes mathématiques prend un aspect métaphysique et la simple contemplation de cette esthétique minimale suffit à apprécier les œuvres.

Remplir le blanc

Au contraire, d'autres artistes cherchent littéralement à envahir le vide, comme le néerlandais Herman De Vries avec une toile, Relief, sur laquelle une multitude de rectangles noirs en 3D se dispersent à la surface. S'agit-il d'un chemin ? D'un plan ? Ou même encore d'une invasion ? La réponse n'est pas, et c'est là tout l'enjeu de l'abstraction. Libre à chacun d'y voir ce qu'il désire, avec la certitude qu'une telle création essaie d'exprimer la dualité entre le plein et le vide et d'aspirer à un équilibre, notion pas si abstraite, ni même inconnue à l'être humain.

Et quand De Vries s'affaire à créer une balance entre les volumes, Roman Opalka, lui, court après le temps. Encore une fois le concept est plus important que la réalisation plastique : le peintre franco-polonais entame une série dès 1965 en commençant par écrire "1" en blanc sur une toile noire, et ne cessera de compter jusqu'à la fin de sa vie. Suivant un processus évolutif, il augmente de 1% de blanc le fond noir, qui petit à petit va devenir gris puis blanc. Tentative de capter le temps, de marquer son caractère irréversible, deux exemples de la série sont présentés dans l'exposition.

Cet ensemble de pièces, conceptuelles ou minimales, est accompagné d'œuvres offrant une figuration à la lisière de l'abstraction, à chaque fois sublimé par le blanc. Les photographies d'Éric Bourret donnent ainsi à voir des paysages floutés, où la question de l'espace persiste mais dans lesquelles l'absence de couleur prend une nouvelle valeur. La lumière n'est plus transcription d'une forme de spiritualité mais révélation d'une nature pleine de pureté. Autant de diversités plastiques qui permettent de mieux appréhender l'essence du blanc en art et le versant abstrait de certains artistes.

White, jusqu'au 30 mars, Musée Géo-Charles (Échirolles)


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