Abus de faiblesse

Avec ce film autobiographique évoquant l'AVC qui l'a laissée partiellement paralysée et sa rencontre avec l'escroc Christophe Rocancourt, Catherine Breillat se livre à un portrait en bourgeoise aveuglée et humiliée, qui manque de saillant cinématographique mais pas de cruauté. Christophe Chabert


Ce n'est pas la première fois que Catherine Breillat met son cinéma en abyme ; Sex is comedy rejouait ainsi le tournage compliqué d'À ma sœur… Mais jusqu'ici, Breillat elle-même se tenait à l'écart de ce jeu dont on sait à quel point il peut être vain – qu'on se souvienne du Château en Italie de Valeria Bruni-Tedeschi… Or, Abus de faiblesse ne cache pas sa nature autobiographique, malgré toutes les précautions d'usage ; les noms ont été changés, mais Maud-Isabelle Huppert, cinéaste victime d'un AVC qui la laisse à moitié paralysée, c'est évidemment Breillat. Et l'escroc Vilko-Kool Shen (subtil redoublement que d'avoir distribué un non-acteur pour jouer un non-acteur), à qui elle veut offrir le rôle principal de son prochain film, c'est Christophe Rocancourt. Celui-ci va lui soutirer des sommes de plus en plus colossales, jusqu'à la plonger dans la précarité.

La bourgeoise et l'arnaqueur

L'ouverture du film décrit l'accident de Maud comme une scène de cauchemar – effectivement tétanisante – puis la rééducation douloureuse qui s'ensuit. C'est un parfait tremplin pour une Isabelle Huppert en pleine performance, même si c'est dans le dernier acte qu'elle sera vraiment impressionnante. Clouée au lit, elle découvre à la télé le fameux Vilko, qui raconte ses "exploits" sans fard – il vole aux riches, dont il raille conjointement la cupidité et la  crédulité ; mais elle n'écoute pas, elle ne voit que le comédien potentiel. Fascination esthétique qui confine à l'aveuglement narcissique. De fait, si autoportrait il y a, celui-ci est sans complaisance, Maud étant un personnage assez antipathique, égocentrique, cassant avec sa famille et son entourage…

C'est la bonne surprise d'Abus de faiblesse : plutôt que de justifier l'injustifiable (comment une femme intelligente peut se faire arnaquer par un si grossier imbécile), Breillat ne se fait absolument aucun cadeau. Le final, où Huppert éructe tel Harpagon des «mon pognon !» au milieu d'une maison en chantier, exprime avec une violence démente la déchéance d'une bourgeoise hautaine rendue à l'état de ruine humaine. Certes, Abus de faiblesse a du mal à donner le change à cette cruauté par sa mise en scène, plate, desservie par une image numérique fadasse et un manque d'attention aux rôles secondaires, mais cela faisait longtemps que Breillat n'avait pas signé un film aussi viscéral et brutal ; digne de sa réputation…

Abus de faiblesse
De Catherine Breillat (Fr, 1h45) avec Isabelle Huppert, Kool Shen…


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