Peau d'âme


Lorsqu'on évolue sur les crêtes, il faut avoir le sens de l'équilibre, la démarche subtile mais assurée, se jouer du vertige et des gouffres. C'est donc en équilibriste qu'évolue Peau, perchée là-haut sur la montagne du Vercors. Cavalant avec la grâce d'une ballerine d'altitude, aussi déroutante que séduisante – ce qui n'est pas loin d'être sa profession de foi musicale –, Peau n'a cessé depuis ses débuts en solo de tracer de nouveaux chemins, d'ouvrir de nouvelles voies. Au point de faire de ces rochers qui l'environnent (il n'y a qu'à prêter attention à la pochette et, au titre, d'Archipel) des îles flottantes qui ne sont pas sans rappeler les rochers volants des Na'vi d'Avatar.

Son premier album, Première mue, sorti en 2010, s'avérait plus farouche, plus rock, autant que puisse l'être en tout cas la production de cette jeune femme à la voix évaporée, encline au murmure mais qui s'affichait volontiers en sauvageonne de la forêt. La deuxième mue est donc quasi complète et pourtant, on reconnaît la créature dont elle a accouché.

La Peau est différente mais l'essence est toujours là, l'âme parfois à nue comme sur Uyuni ou À demi-nue, dépouillée de tout artifice au profit de mélodies folk. Archipel est pourtant largement tourné vers l'électro, découverte sur le tard, oscillant entre expérimentation et délicatesse pop, entre abstraction et incarnation, rythmiques glacées et mélodies organiques. De fait, Peau agit comme une interface, passant ses influences (James Blake, Radiohead, Fever Ray…) au filtre de son épiderme artistique.

Offrant, aussi, une manière d'écriture d'autant plus parlante – et d'ailleurs souvent parlée – qu'elle se veut implicite et impressionniste, toujours libre d'interprétation – ou de non interprétation. Autant de choses qui font que dans cette musique née en marge du monde, on se sent chez soi et même en soi. Comme habitant une autre peau tout en restant les mêmes.

Archipel (Le Chant du Monde / Harmonia Mundi)


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