Real

Après "Shokuzai", Kiyoshi Kurosawa ose la fable d'anticipation tout en conservant son style intimiste, bavard et glacé, désormais pleinement maîtrisé. Dommage qu'il ne le tienne pas jusqu'au bout de ce "Real" souvent passionnant. Christophe Chabert


À force de filmer des fantômes revenant hanter les vivants, il était presque fatal que Kiyoshi Kurosawa fasse un jour le chemin inverse. Avec Real, il montre ainsi comment un jeune homme, Koichi, va entrer en « contact » avec Atsumi, sa petite amie dessinatrice de mangas dans le coma depuis un an, en espérant la ramener à la conscience. La technologie qui lui permet de l'atteindre est pour le moins sommaire (une sorte de scanner et quelques électrodes) et le fantastique surgit à travers des idées souvent rudimentaires mélangeant trucages numériques, maquillages spéciaux et transparences obtenues sur le plateau.

C'est bien la mise en scène de Kurosawa qui permet de brouiller les frontières entre le rêve et la réalité, et il lui suffit parfois de faire légèrement varier la lumière sur le visage d'Atsumi, de plonger les rues dans une brume opaque ou de supprimer l'ambiance sonore de la ville entourant pour introduire de l'inquiétude. En cela, jamais son style si effacé, cette image sans relief et sans aspérité, n'avait autant servi sa démarche : Real magnifie cette contagion de la réalité la plus banale (y compris dans le torrent de dialogues, inutilement explicatifs comme souvent chez le cinéaste) par un outre monde fait de spectres eux aussi terriblement quotidiens.

Un Orphée japonais

Cinéaste de la suggestion, artiste cérébral et volontairement froid, Kurosawa a plus de mal à négocier les virages émotionnels de son récit. Le labyrinthe de Real prend le pas sur l'histoire d'amour façon Orphée et Eurydice qui lui sert de trame : à l'exception d'une très belle scène où Koichi retrouve le père d'Atsumi sur l'île où ils ont grandi et qu'ils ont choisi d'abandonner en y laissant leur mauvaise conscience, Kurosawa est plus fort pour créer le malaise et la peur que l'empathie.

C'est sans doute ce qui rend la dernière demi-heure si décevante : non seulement le crescendo émotionnel ne prend pas, mais Real s'aventure vers un cinéma beaucoup plus figuratif et attendu. On assiste à une greffe ratée entre l'esthétique neutre du cinéaste et des effets spéciaux dont l'ambition spectaculaire fait toc à l'écran. Kurosawa est beaucoup plus fort quand il les détourne vers de pures visions poétiques, comme dans cette image, inoubliable, d'une ville se fondant longuement en d'infinies coulées de peinture.

Real
De Kiyoshi Kurosawa (Jap, 2h07) avec Takeru Sato, Haruja Ayase…


<< article précédent
Into the (musical) wild