Tom à la ferme

Même s'il affirme une sobriété inédite dans sa mise en scène, Xavier Dolan échoue dans ce quatrième film à dépasser le stade de la dénonciation grossière d'une homophobie rurale dont il se fait la victime un peu trop consentante. Christophe Chabert


Un discours d'adieu écrit à la peinture bleue sur du papier cul, une reprise des Moulins de mon cœur de Michel Legrand, une crise d'hystérie en bord de route : Tom à la ferme démarre en caricature du cinéma de Xavier Dolan, mélange d'immaturité et de pose qui nous l'a d'abord rendu insupportable, avant qu'il ne réussisse à en extraire d'authentiques fragments de sidération dans son beau, quoi qu'inégal, Laurence anyways. Surprise ensuite : le film adopte une sobriété inattendue pour raconter l'arrivée de Tom (Dolan lui-même) dans la ferme familiale de son ancien compagnon décédé.

La musique de Gabriel Yared, le climat lourd de menaces et quelques clins d'œil appuyés lorgnent vers le thriller à la Hitchcock, mais la peinture de cette famille hypocrite et sadique rappelle plutôt le cinéma de Chabrol, Que la bête meure en premier lieu. Dolan brouille ainsi les motifs qui conduisent Tom à s'éterniser sur les lieux du "crime" (désir de vengeance ? Volonté de témoignage ? Attirance-répulsion envers ses hôtes, et notamment le frère brutal, homophobe autant qu'homo refoulé ?) laissant s'installer une tension anxiogène qui met de côté la tentation du clip, péché véniel de son cinéma.

Que les bêtes meurent

Il faut reconnaître au cinéaste cette virtuosité dans la mise en scène, qui culmine lors de quelques séquences impressionnantes comme celle du tango dans la grange. Il faut aussi souligner la qualité du texte adapté ici (une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard) et du casting, en particulier la mère incarnée par Lise Roy, sorte de clone québécois de Christine Lagarde, en plus froide encore.

Cette virtuosité ne masque pourtant pas l'inconséquence d'un propos brossé à gros trait où les « rednecks » sont forcément lâches, aveugles et méchants, alors que le jeune pubard de Montréal est fatalement ouvert d'esprit et cultivé. Par un jeu de costumes – made in Dolan – et une chanson finale de Rufus Wainwright, Dolan tente de faire passer un sous-texte assez flou où cette opposition serait aussi celle entre le Canada et les États-Unis…

Mais c'est surtout l'égocentrisme du réalisateur-acteur, aussi sûr de son discours que de son beau rôle de victime, qui mine Tom à la ferme. Quand il ne s'autocélèbre pas complaisamment à l'écran, il se fait mousser par d'inutiles affèteries — le changement de format lors des scènes "d'action" par exemple. Dommage, car cette incursion hors de ses terres habituelles aurait pu, avec un peu plus de modestie, donner une autre dimension à son cinéma.

Tom à la ferme
De et avec Xavier Dolan (Can-Fr, 1h42) avec Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy…


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Noé