Grégory Faive : « Je ris pour ne pas pleurer »

Quand un comédien et metteur en scène grenoblois s'empare de l'excellent "Petit lexique amoureux du théâtre" de Philippe Torreton et le complète par quelques textes piochés ici et là (du Shakespeare, du Lagarce, voire même du Muriel Robin), ça donne "Pourvu qu'il nous arrive quelque chose". Un spectacle accessible et généreux à mettre devant tous les yeux. Rencontre avec Grégory Faive et critique plus qu'enthousiaste. Propos recueillis par Aurélien Martinez


Le spectacle rencontre un succès impressionnant depuis sa création en 2011...

Grégory Faive : Je suis très heureux. Je profite de chaque représentation et de chaque retour avec le public parce que c'est rare – c'est la première fois que ça m'arrive ! C'était assez inattendu en plus, parce que j'ai préparé ce spectacle en marge d'un autre [Une souris grise de Louis Calaferte – ndlr]. C'était une tentative, pour voir ce que ça allait donner. Je suis donc heureux que ça plaise, que ça marche, et que ça soit reçu par un public si varié – ce qui, là aussi, n'a pas toujours été le cas dans mes autres spectacles ! Pourvu qu'il nous arrive quelque chose ouvre des discussions avec les amateurs de théâtre, les professionnels, les néophytes... J'imaginais que ce serait intéressant de partager ce texte, mais je n'avais pas prévu qu'il fasse écho aussi positivement chez les gens qui pratiquent le théâtre comme chez ceux qui peuvent se demander comment marche tout ça. Et puis je suis aussi heureux que des gens m'aient dit après certaines représentations : "merci ; du coup, je vais aller voir autre chose".

Pourquoi avoir choisi de vous confronter à ce texte si particulier, sorte de dictionnaire, qu'est le Petit lexique amoureux du théâtre du comédien Philippe Torreton ?

C'est un peu long mais je vais essayer d'être rapide ! Au départ, j'avais une pile de textes que j'avais envie de jouer : un extrait de Richard III (Shakespeare), un autre d'Hamlet (Shakespeare), de Phèdre (Racine)... Mais je ne voyais pas trop l'intérêt de mettre bout à bout ces extraits. Puis je suis tombé sur ce Petit lexique amoureux du théâtre de Philippe Torreton. J'avais trouvé ce qui lierait tous ces textes ! En me plongeant dedans, une conversation entre les différentes définitions a émergé assez vite, certaines se répondant, des enchaînements prenant sens. C'est finalement ça qui est devenu la matière, et les extraits de textes n'ont plus été que des évocations, des citations.

Dans son livre, Philippe Torreton dissèque le théâtre...

Il y a dans ce livre une question, qui m'intéresse dans toutes les œuvres que je monte : celle de la rencontre. Torreton dit clairement que le théâtre, c'est quelqu'un qui vient raconter quelque chose à quelqu'un qui est venu pour l'écouter. Je trouvais ça bien qu'il y ait cette métaphore-là pour rentrer dans le spectacle, et de tourner ensuite autour d'elle.

Torreton porte sur le monde du théâtre un regard rempli d'affection tout en étant ironique, mordant, voire même irrévérencieux...

Comme c'est le Petit lexique amoureux, il y a toute une part qui relève de l'amour, du positif, mais aussi de la mauvaise foi, des règlements de comptes, des anecdotes... Il rend l'ensemble humainement accessible, tout en laissant des zones qui ne peuvent pas être partagées par le spectateur mais qui peuvent être entendues par tout le monde.

Par tout le monde, oui. Car le spectacle est généreux, accessible, non intimidant, à l'opposé d'une certaine vision du théâtre très intellectuelle, où la notion de plaisir serait absente...

Je n'ai pas du tout fait ce spectacle en opposition à quoi que ce soit, mais plutôt pour affirmer quelque chose. J'aime le théâtre quand il raconte une histoire, qu'elle soit tragique ou autre. J'aime rire, parce que le rire est là pour tenir la tragédie. Moi, je ris pour ne pas pleurer. Évidemment, c'est comme ça que j'ai envie de partager les textes. Quand je décide d'en travailler un, j'ai d'abord envie que les gens l'entendent, ensuite que ça leur fasse quelque chose, et après, effectivement, que ça soit plutôt drôle. Maintenant, en tant qu'acteur, ça me passionne aussi de rentrer dans des formes beaucoup plus dures...

Teaser Pourvu qu'il nous arrive quelque chose... from Cie Le Chat du désert on Vimeo.

Ce Petit lexique amoureux du théâtre est donc au centre du spectacle, mais vous l'avez aussi agrémenté d'autres textes : du Shakespeare, du Racine, du Lagarce... Et, plus surprenant, du Raymond Devos, voire même du Muriel Robin, que l'on classe plutôt du côté du divertissement grand public, et non du théâtre...

Je ne vois évidemment pas ça comme ça... Si j'arrive un jour à faire un spectacle écrit avec la rythmique de Muriel Robin et le fond de William Shakespeare ou d'auteurs plus contemporains, je serai heureux. Je suis divisé entre ça. Petit, j'ai commencé par aimer le café-théâtre, les humoristes – Fernand Raynaud me passionnait, Muriel Robin a été un vrai choc de rythmique, de drôlerie. Après, je suis rentré au conservatoire de Grenoble. Là, on m'a présenté des choses plus difficiles, plus en regard sur le monde, sur la condition humaine... Les deux m'intéressent. C'est aussi ça le spectacle, cette navigation entre les deux.

Bien que ça ne soit pas vos propres textes, voyez-vous Pourvu qu'il nous arrive quelque chose comme votre projet le plus personnel ?

Oui. C'est l'étape entre les spectacles où je monte les textes des autres et le prochain où le texte sera de moi.

Le spectacle tourne depuis sa création. Mais une date a dû être particulière pour vous, puisque l'an passé, vous l'avez joué devant Philippe Torreton lui-même...

C'était une expérience inouïe. À l'époque, je tournais dans tout le département de l'Isère avec ce spectacle [programmation de la MC2 décentralisée – ndlr]. À l'occasion de sa venue pour Cyrano de Bergerac en mars 2013, la MC2 a organisé une représentation privée. Pour le coup, j'ai eu très peur. J'ai pu inviter quelques amis, et jouer devant lui dans des conditions absolument rock'n'roll – ça a été l'une des représentations les plus terribles ! Mais ça a aussi été extraordinaire. Il a été très touché d'entendre son livre, très heureux de voir ce qui en avait été fait. J'ai toujours peur avant de jouer, mais depuis, j'ai encore plus peur car j'ai l'impression d'être responsable de quelque chose, ce que j'avais moins avant. À chaque fois que je joue, je pense à lui. Depuis, on est en lien, il m'a envoyé son nouveau livre Mémé pour voir si je pouvais en faire quelque chose – je ne pense pas, mais ça m'a touché. On va continuer la conversation.

Pourvu qu'il nous arrive quelque chose, jusqu'au samedi 24 mai à la MC2

Repères

1976 : Naissance à Évian-les-Bains, en Haute-Savoie. Débute le théâtre à l'école maternelle. Puis atelier théâtre au collège avec des amis entre midi et deux

1995 : Arrivée à Grenoble pour une licence de physique / chimie. Participation à l'association Les Arts mêlés jusqu'en 1999 puis entrée au Conservatoire de Grenoble, où il fait la rencontre du metteur en scène Laurent Pelly

2006 : Création de la compagnie Le Chat du désert avec le spectacle Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce

2008 : Les Reines de Normand Chaurette

2011 : Création au CLC d'Eybens de Pourvu qu'il nous arrive quelque chose

2014 : Participation au Off du Festival d'Avignon (du 5 au 27 juillet à 22h05, à l'Espace Alya)


<< article précédent
"Pourvu qu’il nous arrive quelque chose" : Grégory Faive, pour le meilleur et pour le rire