« Écrire du théâtre, c'est écrire sur ce qui ne va pas »

Chaque année, le festival Regards Croisés propose de découvrir des textes de dramaturges contemporains méconnus du public français, au cours de soirées lectures. Pour sa quatorzième édition, le festival fait la part belle aux femmes et aux auteurs d'Europe de l'Est. Rencontre avec Bernard Garnier, l'un des fondateurs du collectif. Propos recueillis par Guillaume Renouard


La lecture de textes contemporains de théâtre est un exercice plutôt pointu. Quel est le profil des spectateurs qui fréquentent habituellement le festival ?

Bernard Garnier : Difficile de répondre, car nous n'avons jamais effectué d'enquête approfondie sur le profil de notre public. Néanmoins, nous pourrions être préoccupés s'il ne se renouvelait pas. Or, comme il s'agit d'une petite salle, avec une centaine de personnes par soir, on finit par retenir les visages, et on s'aperçoit qu'il y a bel et bien un renouvellement d'année en année, ce qui nous satisfait. Il ne s'agit d'ailleurs pas forcément de gens qui vont beaucoup au théâtre, puisque la lecture est différente, plus radicale, plus dépouillée.

Tous les auteurs présentés sont des auteurs contemporains et plutôt confidentiels, tout du moins en France. Comment faites-vous pour les repérer, puis pour les sélectionner ? Ciblez-vous des zones géographiques particulières, comme l'Europe de l'Est pour cette édition ?

Troisième bureau est un collectif artistique et un comité de lecture, qui travaille tout au long de l'année. Nous collectons et lisons un maximum d'œuvres dramatiques francophones et européennes, avant d'opérer une sélection. Chaque année, nous choisissons également trois ou quatre pays européens dont les œuvres théâtrales sont peu diffusées en France. Cette année, nous avons en effet plusieurs auteurs d'Europe de l'Est : un Suédois, un Biélorusse, une Macédonienne et un Russe, par ailleurs très reconnu dans son pays. D'ailleurs, nombre des auteurs que nous invitons sont connus chez eux mais demeurent de parfaits inconnus en France.  

Comment le collectif est-il né ?

Au départ, nous étions une petite dizaine, la plupart professionnels du milieu du spectacle, mais aussi du livre, réunis par un certain nombre de questionnements autour de notre métier. Quel théâtre fait-on, quel théâtre voudrait-on faire, quel théâtre s'écrit aujourd'hui ? Nous sommes partis du constat que nous ne connaissions pas les textes actuels, car leurs auteurs sont inconnus. Nous avons voulu y remédier. Petit à petit, des universitaires et des enseignants nous ont rejoints. Nous sommes aujourd'hui une petite vingtaine.

Le thème de cette année (« C'est quoi le problème ? ») est plutôt vaste, comment le concevez-vous ? L'avez-vous choisi pour faire écho à l'actualité ?

Il s'agit avant tout d'attirer l'œil, éveiller la curiosité du public au moyen d'une question assez large. Nous ne voulions pas d'un titre pompeux ou ésotérique. Il s'agit d'ailleurs plus d'une question générique que de la thématique générale du festival : écrire du théâtre, c'est avant tout écrire sur ce qui ne va pas. Une pièce centrée sur un couple va rarement montrer un couple qui file le parfait amour. Il s'agit toujours d'évoquer des dysfonctionnements, que l'on peut regarder avec amusement ou gravité. Nous ne cherchons pas à coller à l'actualité car le théâtre est intemporel, il s'écrit très rarement en réaction à cette dernière.

Il y a malgré tout une intention politique indéniable derrière le festival : Hélène Chatelain ayant une « attention soutenue pour les vaincus et dissidents et une méfiance instinctive pour les vainqueurs » ; la pièce Bienveillance qui touche à la lutte des classes ; la fable La Gorge sur les ravages de l'impératif consumériste…

Nous pensons que le théâtre est politique, et ce depuis la naissance du théâtre antique. Néanmoins, nous ne cherchons pas tellement à dénoncer des injustices ou à promouvoir une ligne politique, mais plutôt à questionner. Prendre le temps d'examiner ensemble, acteurs et publics compris, des questions qui imprègnent notre époque et auxquelles on n'a pas l'occasion de réfléchir collectivement au quotidien. Nous avons en effet cette année une pièce macédonienne écrite par une femme qui a vécu sous le communisme et sous le capitalisme, et qui interroge les ravages de l'ultralibéralisme, mais aussi une pièce très courte sur les violences conjugales. Mais il n'y a pas de réponses, seulement des questions.

C'est un détail, mais vous utilisez à maintes reprises le terme « autrice », dans la présentation du festival. Un néologisme ?

C'est un terme qui est avancé par certaines auteures, qui s'appuient sur une terminologie déjà utilisée au XVIIIe siècle. D'autres préfèrent se faire appeler auteure. Chacune est libre de choisir.

Regards croisés, du jeudi 15 au samedi 24 mai, au Théâtre 145

Crédit photo : Jean-Pierre Angei


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