Le survivant

Réchappé d'un très grave cancer ayant failli le terrasser à 25 ans, le précieux Will Stratton est de retour. Première bonne nouvelle : il est en forme. Deuxième bonne nouvelle : il a accouché pendant sa convalescence d'un album d'une beauté et d'une délicatesse absolue. Troisième bonne nouvelle : il ouvrira pour un ange, Angel Olsen, sur la scène du... Ciel. Stéphane Duchêne


Cela a souvent été dit à propos de Will Stratton, mais le fait est que le Californien d'origine est un parfait compromis entre Nick Drake (la voix, le jeu de guitare, les arrangements à pleurer) et Sufjan Stevens (la voix, les arrangements à pleurer). Soit un petit concentré de mélancolie et de finesse de songwriting qui fait de chacun de ses albums un bijou. Comme ce grand timide Anglais de Drake, infortuné (presque) membre du club des 27, Stratton a d'ailleurs aussi eu droit à son petit paquet de tragédie.

 

Alors que son album Post-Empire ne laisse pas d'impressionner et de faire son petit bout de chemin vers les traditionnels classements de fin d'année en 2012, Stratton, 25 ans à peine, se voit diagnostiquer un cancer des testicules de stade 3 contre lequel il se battra un moment avec des chances de survie de 50 %, et au prix de chirurgies particulièrement invasives.

 

 

Pink Moon

 

Inutile de dire que Gray Lodge Wisdom, le disque qui s'ensuit, en grand partie écrit pendant sa convalescence, est marqué du sceau de ce passage à deux doigts de la correctionnelle définitive. Son titre même en est une indication forte, qui fait référence à la White Lodge et à la Black Lodge de Twin Peaks que Stratton revisionna avec sa mère pendant cette période, soit une sorte d'entre-deux entre bien et mal, la possibilité de la vie et la perspective de l'au-delà, la quête initiatique et le poids de la contre-initiation. Un disque paradoxal sur l'impossibilité, l'absurdité peut-être, d'écrire sur des choses aussi graves (« Why sing about death when I almost died ? Why sing about life when I'm still alive ? ») et la nécessité de le faire pour s'en relever.

 

Avant de mourir, Nick Drake avait livré pour testament son album le plus épuré, un autre album de l'entre-deux, mais aussi le plus mélancolique de son œuvre : le magnifique Pink Moon. Ayant ainsi survécu à la maladie, n'ayant jamais baissé les bras lorsque, depuis le sous-sol parental, il se remettait à vivre en même temps qu'à composer, à jouer de cette guitare qu'à l'hôpital ses doigts ne pouvaient même plus serrer, Will Stratton vient de livrer, après une poignée d'autres albums bouleversants, son Pink Moon. Un album épuré – mais pas avare de beaux arrangements –, délicat et infiniment lumineux derrière sa sombre pochette. Un album à tenir contre soi lorsque l'on penche un peu trop vers la Black Lodge ou la White Lodge. Un album pour garder le cap.

 

Will Stratton + Angel Olsen, samedi 31 mai à 20h30, au Ciel


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