Lubitsch enlève le bas


Peu de scènes d'exposition sont aussi brillantes et hilarantes que celle de La Huitième femme de Barbe Bleue. À Nice, un milliardaire américain (Gary Cooper) entre dans une boutique pour acheter un pyjama. Problème : il ne veut que le haut, car il ne porte jamais de bas pour dormir. Les vendeurs, craignant que cette exigence ne crée un dangereux précédent, avertissent chaque échelon de la hiérarchie, jusqu'au directeur en personne qui sort de son lit… en ne portant qu'un haut de pyjama !

Ce gag pourrait conclure une séquence à la vivacité folle, dont les dialogues impeccables sont débités avec ce rythme imparable qui fait la marque d'Ernst Lubitsch – et qui deviendra plus tard celle de Billy Wilder, ici pour la première fois co-scénariste de celui qu'il considérait comme son maître. Mais Lubitsch joue les prolongations, avec l'entrée en scène d'une aristocrate française déshéritée (Claudette Colbert) qui veut bien acheter le fameux bas de pyjama. D'accord, mais pour qui ? Son frère ? Son mari ? Son amant ?

Les questions que se posent le milliardaire ouvrent la voie à une comédie sentimentale particulièrement retorse, où le mariage est un arrangement, l'amour une série d'épreuves à surmonter et le couple une sorte d'enfer domestique où tous les coups sont permis. Longtemps considéré comme un Lubitsch mineur (par rapport à des œuvres comme Ninotchka, To be or not to be ou Rendez-vous), La Huitième femme de Barbe Bleue apparaît au contraire comme un sommet d'élégance et d'intelligence, parvenant à inscrire le vaudeville théâtral d'origine française dans une tradition beaucoup plus noble : celle de la comédie du remariage à l'Américaine.

Christophe Chabert

La Huitième femme de Barbe Bleue
D'Ernst Lubitsch (1938, ÉU, 1h25) avec Gary Cooper, Claudette Colbert, David Niven…
Mercredi 18 juin à 20h, au CCC


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